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LOI RELATIVE AU RENSEIGNEMENT

Mardi 28 Juillet 2015

La décision du conseil constitutionnel du 23 juillet 2015: une décision rétrograde


Le Conseil constitutionnel rappelle dans sa décision qu’il a jugé «  que le recueil de renseignement au moyen des techniques définies par la loi relève de la seule police administrative. Il ne peut ainsi avoir d’autre finalité que de préserver l’ordre public et de prévenir les infractions. Il ne peut être mis en œuvre pour constater des infractions à la loi pénale, en rassembler les preuves ou en rechercher les auteurs » (considérant 9).
 
Ces dispositions qui apparaîtront pour le grand public comme rassurantes – la surveillance sera préventive et les moyens du renseignement ne seront pas mis au service de la loi pénale – constituent en réalité une atteinte majeure et disproportionnée aux droits fondamentaux.
 
En effet, l’ensemble des mesures soumises à la censure du Conseil figure pour une grande partie dans les pouvoirs d’enquête en matière pénale – interceptions téléphoniques, sonorisation des véhicules, des bureaux et des lieux d’habitation, réquisition des données techniques de connexion auprès des opérateurs, géolocalisation-.
 
Or, depuis plusieurs dizaines d’années, les défenseurs des droits fondamentaux et notamment les Avocats, se sont battus pour que ces pouvoirs d’enquête soient soumis au contrôle d’une autorité judiciaire et soient susceptibles de recours afin d’éviter les dérives du pouvoir politique que nous avons déjà connues.
 
Ainsi, en excluant les dispositions de la nouvelle loi du champ d’application de la police judiciaire pour les situer uniquement dans celui de la police administrative, le Conseil valide une atteinte manifeste aux libertés dont la mise en œuvre se trouve entre les mains du pouvoir exécutif et sans réel contrôle juridictionnel.  Bref, un retour en arrière !
 
Une autorisation de surveillance politique de masse de la population
 
Ce détournement des garanties des libertés se retrouve dans l’objectif même de la loi, annoncée comme une loi visant à lutter contre le terrorisme mais qui en réalité est plus large.
 
L’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, lequel énumère les finalités pour lesquelles les services spécialisés de renseignement pourront recourir aux techniques de recueil des renseignements, compte 6 hypothèses en plus d’une septième relative au terrorisme dont certaines sont très floues – comme « les intérêts majeurs de la politique étrangère », « les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France », ou encore « des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique » et « la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ».
 
Faisant fi de la critique du caractère général de certaines hypothèses et que d’autres constituent des infractions pénales – pour lesquelles la police judiciaire dispose de prérogatives d’enquête équivalentes à celles du texte -, le Conseil constitutionnel a considéré que ces dispositions sont conformes à la constitution dans la mesure où l’article L. 801-1 du Code de la sécurité intérieure impose que « la décision de recourir aux techniques de renseignement et les techniques choisies devront être proportionnées à la finalité poursuivie et aux motifs invoqués », ce contrôle de proportionnalité relevant de la compétence de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement dans le cadre d’un avis non liant et, le cas échéant, du Conseil d’Etat.
 
De même, le Conseil valide le fait que d’autres services que ceux spécialisés de renseignement, peuvent être autorisés par décret à recourir à ces techniques, ce décret délimitant pour chaque service les finalités et les techniques pouvant donner lieu à autorisation.
 
Il est effarant de constater que ces moyens de surveillance seront mis en œuvre sur autorisation du Premier ministre après avis de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et ce même si l’avis de cette dernière commission est défavorable.
 
Le Conseil constitutionnel valide ces dispositions après avoir relevé que les personnes faisant l’objet d’une telle surveillance ne sont pas privées de recours juridictionnel – chaque personne pouvant saisir le Conseil d’Etat pour savoir s’il fait l’objet d’une surveillance après une demande préalable à la commission nationale- lequel recours est bien entendu illusoire.
 
Ainsi, le recueil de renseignement portant atteinte aux libertés fondamentales des individus ne sera nullement circonscrit à l’unique hypothèse du terrorisme et limité au seuls services spécialisés de renseignement mais constituera un outil de surveillance massive des populations eu égard au caractère flou des hypothèses de mise en œuvre du dispositif aux seules mains du pouvoir politique.
 
Sur les dispositions relatives aux Avocats
 
L’article L. 821-7  du Code de la sécurité intérieure interdit, pour divers professionnels, au rang desquels figurent les Avocats,  les demandes de mise en œuvre d’une technique de recueil  de renseignement définie aux articles L. 851-1 à L. 853-3 du CSI à raison de l’exercice de sa profession.
 
De même, la procédure dérogatoire visée à l’article L. 821-5 du CSI – permettant de mettre en œuvre les moyens de surveillance sur autorisation du Premier ministre et sans avis préalable de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement -  ne peut être utilisée à l’encontre d’un Avocat  à raison de l’exercice de sa profession.
 
Pour autant, cette interdiction n’est que relative puisque ces dispositions légales prévoient une exception : les techniques de recueil  de renseignement définies aux articles L. 851-1 à L. 853-3 du CSI peuvent être mis en œuvre à l’encontre d’un Avocat après examen de la demande d’autorisation en formation plénière de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement s’agissant de sa personne, ses véhicules, ses bureaux ou ses domiciles.
 
Cependant, évoquant le fait qu’il incombe à la commission, laquelle sera au surplus destinataire de l’ensemble des transcriptions de renseignement collectés dans ce cadre, de veiller à la proportionnalité des atteintes portées aux garanties attachées à la profession d’Avocat, le Conseil constitutionnel considère que les dispositions susmentionnées ne portent pas une atteinte manifestement disproportionnée au secret des correspondances entre un Avocat et ses clients, ni au droit de la défense.
 
Ainsi, il est indéniable que ces dispositions légales permettant au pouvoir exécutif sans contrôle juridictionnel réel d’opérer une violation considérable de la confidentialité entre l’Avocat et son client, des droits de la défense ainsi que du droit à un procès équitable.
 
Il suffit pour s’en convaincre de constater que les garanties apportées aux Avocats dans le cadre des prérogatives de police judiciaire ont totalement disparues dans le cadre de ces dispositions de police administrative.
 
Au demeurant, ici encore l’avis de la commission n’est que consultatif et l’autorisation semble pouvoir être donnée par le Premier ministre nonobstant un avis défavorable de la commission.
 
Le simple fait que le Conseil d’Etat puisse être saisi par un membre de la commission est une garantie bien insuffisante en l’absence de saisine automatique, en cas d’avis défavorable de la commission,  du Conseil d’Etat avec suspension de l’autorisation dans l’attente de la décision de celui-ci - comme cela est prévu pour la mise en œuvre des techniques de recueil de renseignement dans un lieu privé à usage d’habitation-.
 
Une telle atteinte aux garanties de notre profession est totalement inadmissible et ne saurait être acceptée.
 
Les dispositions censurées
 
Le Conseil ne censure que deux dispositions.
 
La première, visée à l’article L. 821-6 du code de la sécurité intérieure, instaurait une procédure dérogatoire, dénommée « procédure d’urgence opérationnelle » permettant la mise en  œuvre de moyens de surveillance sans l’autorisation ni information préalable du Premier ministre ni avis préalable de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
 
Cette disposition est censurée au motif d’une atteinte manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances.
 
La seconde est  relative aux mesures de surveillance internationale – article L. 854-1 du CSI – puisque les dispositions légales ne prévoyaient pas de contrôle par la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement de la légalité des autorisations, pas plus que les conditions d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés.