A vouloir satisfaire le plus grand nombre, le nouvel « avocat salarié d’une entreprise » proposé par la Chancellerie risque de ne convaincre personne, en tous cas pas la FNUJA, plus que jamais attachée à l’unité de la profession et au secret professionnel de l'avocat.
La Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats a pris connaissance du « document de travail relatif à l’exercice de la profession d’avocat en qualité de salarié d’une entreprise » transmis le 20 février dernier par la direction des Affaires civiles et du Sceau (DACS) aux institutions représentatives des professions d’avocat et de juriste d’entreprise.
Un avocat « Canada dry »
Sans s’étendre sur la méthodologie pour le moins surprenante consistant pour le Garde des Sceaux à ressortir, après l’avoir lui-même enterré devant l’AG statutaire de la Conférence des Bâtonniers en janvier dernier, un projet qu’on croyait abandonné à 50 jours des élections présidentielles, force est de constater que le nouvel homos juridicus proposé par la DACS n’a en réalité d’avocat que le nom.
En premier lieu, ce nouvel avocat salarié d'entreprise ne serait pas auxiliaire de justice.
Or, la qualité d’auxiliaire de justice est inhérente à la profession d’avocat, que celui-ci défende ou conseille, comme l’a rappelé le Conseil National des Barreaux dans la définition qu’il a donnée de l’avocat par délibération du 11 février 2011.
Le CNB a également rappelé à cette occasion que l’avocat se conforme à une déontologie stricte, est indépendant et « tenu au secret professionnel ».
Est-il nécessaire de rappeler que ce secret professionnel, dont l'article 226-13 du Code pénal est le fondement légal, est tout aussi consubstantiel à la profession d’avocat ? Qu’il est absolu, général et illimité, que si c’est un droit pour son confident, c’est une obligation pour l’avocat, dont la violation peut être sanctionnée pénalement ou disciplinairement ? (1)
Une confidentialité non maîtrisée
Or, le nouvel avocat salarié d’une entreprise se voit doté au contraire d’une simple confidentialité « light » aux antipodes du texte précité, le document de travail créant en effet un « privilège de confidentialité » attaché aux avis juridiques émis par l'avocat en entreprise limité « aux avis et analyses juridiques qu'ils rendraient au profit de leur employeur ou qui seraient rédigés, à leur demande et sous leur contrôle, par leur équipe ».
Mieux encore, cette confidentialité qui s’accompagnerait de la création d’une infraction en cas de divulgation sans autorisation du représentant légal de l’entreprise, pourrait être levée par ce dernier « s’il l’estime nécessaire ». Alors que le Bâtonnier lui-même n’a aujourd’hui aucune possibilité de lever la confidentialité des correspondances entre avocats, le document de travail propose de s'en remettre au chef d'entreprise… (2)
On n’ose imaginer dans ces conditions les conséquences pour le confrère porteur d’un secret absolu dont il ne peut être délié, croyant négocier avec un « avocat salarié d’une entreprise » sous le sceau de la confidentialité des correspondances, en cas d’échec des pourparlers...
Par ailleurs, l’avocat salarié d’une entreprise ne bénéficierait pas, en matière de perquisitions, visites domiciliaires et saisies, des mêmes garanties procédurales que celles de ses confrères ayant choisi un autre lieu d’exercice, ce qui ne manque pas d’interpeler…
La passerelle : une fusion déguisée
Les Jeunes Avocats enfin s'insurgent contre la « passerelle », que le document de travail propose aux juristes ayant exercé des responsabilités et un pouvoir de décision en entreprise pendant au moins 5 ans.
Quand bien même une telle passerelle serait temporaire et assortie d’un contrôle des connaissances en déontologie, elle constitue une véritable fusion déguisée entre la profession d'avocat et le métier de juriste d'entreprise.
Le rapport Prada avait au moins eu le mérite – ce dont la FNUJA s’était en son temps félicitée - de proposer la suppression de la passerelle actuelle des 8 années d’exercice en entreprise.
On rappellera que lors du vote intervenu le 20 novembre 2010, l’assemblée générale du CNB a dit à une très large majorité (74 voix) son opposition à la fusion entre la profession réglementée d’avocat et la profession non réglementée de juriste d’entreprise.
Un objectif manqué
L’apport d’un avocat au sein de l’entreprise ne saurait se résumer à l’apport de connaissances en droit et d’une expertise de la pratique juridique que les juristes d’entreprises sont déjà susceptibles de maîtriser parfaitement.
Il ne s’agit pas, en d’autres termes, de l’apport d’un métier, mais bien d’une profession à laquelle sont attachées une éthique et une déontologie fortes. Une profession qui offre la caractéristique première de permettre à l’entreprise, dans le secret du bureau de l’avocat, de réaliser les opérations nationales ou internationales qu’elle projette avec la certitude qu’elles seront conduites en toute connaissance de leurs conséquences légales, grâce à un lien de confiance nécessaire entre le dirigeant et son avocat garanti par le secret professionnel.
En se contentant d’un « privilège de confidentialité », le projet manque son objectif : doter l’entreprise d’une véritable confidentialité dans la gestion de ses risques juridiques, que seule permettrait la création d’un statut d’avocat –à part entière- en entreprise.
En distribuant le titre d'avocat, comme il s'agissait d'un hochet de la République, le nouveau projet proposé par la Chancellerie non seulement dénature une fonction mais encore ouvre un peu plus la voie vers le démantèlement de la profession d'avocat.
Le refus d’un secret professionnel morcelé
On sait bien en effet que dans le droit fil de l’arrêt Akzo rendu par la CJUE le 14 septembre 2010, un mouvement qui s’apparente à une véritable « lame de fond », tant au plan national que communautaire, tente d’imposer un secret professionnel à géométrie variable selon l’activité juridictionnelle ou de conseil de l’avocat. Seul celui qui plaide serait considéré comme porteur d’un secret professionnel absolu. Transiger sur ce point serait à court ou moyen terme dévastateur, l'avènement d'un secret morcelé.
Un secret qui ne serait plus absolu préjudicierai à toute notre profession et en première ligne à celles et ceux qui principalement conseils les entreprises.
Si un jour notre lieu d'exercice est l'entreprise, nous y serons pleinement avocat ou nous n'y serons pas.
(1) La commission Darrois (2009) l’avait bien compris, qui estimait que les avocats en entreprise devaient « bénéficier du secret professionnel et être soumis aux mêmes règles de confidentialité que leurs confrères exerçant en libéral ».
(2) Dans ce sens, le rapport du groupe de travail présidé par Marc Guillaume sur le rapprochement des professions d’avocat et de juristes d’entreprise (2006) soulignait que « le chef d’entreprise ne pourrait relever l’avocat salarié de l’entreprise de son secret professionnel ».
(2) Dans ce sens, le rapport du groupe de travail présidé par Marc Guillaume sur le rapprochement des professions d’avocat et de juristes d’entreprise (2006) soulignait que « le chef d’entreprise ne pourrait relever l’avocat salarié de l’entreprise de son secret professionnel ».