Le projet d'action de groupe en France: quid des avocats ?
En France, le 4 juillet 2006, le Tribunal correctionnel de Paris a ordonné, dans le procès des fondateurs de l’AFER (Association Française d’Epargne et Retraite), la confiscation au profit de l’Etat des 128 millions d’euros qu’il était reproché aux prévenus d’avoir détournés alors même que le nombre de victimes indemnisables s’élevait à 500 000 adhérents sans qu’aucune action de groupe ne leurs soit ouverte.
Aux Etats-Unis, le 6 juillet 2006, la Cour suprême de Floride confirme une décision de justice de mai 2003 annulant la condamnation de cinq fabricants de tabac à payer à des fumeurs la somme de 145 milliards de dollars (113,4 milliards d'euros). Philip Morris USA (Marlboro), RJ Reynolds (Camel, Winston), Lorillard, Liggett, et Brown and Williamson avaient été condamnés, en juillet 2000, à payer cette somme à près de 500 000 personnes qui avaient lancé une action collective(class action). La Cour suprême a estimé la somme demandée "excessive" et de nature à provoquer la faillite de certains cigarettiers.
Cette victoire historique des cigarettiers américains n’a pas refroidi la volonté de réforme manifestée par le président Jacques Chirac, qui avait promis de rendre possible la class action en France lors de ses voeux en janvier 2005.
En France, le 6 juillet 2006, plus de cent personnalités du monde politique, universitaires ou encore juristes ont lancé, avec les associations de consommateurs, un appel solennel pour l’introduction d’une action de groupe.
Seules quelques irréductibles ultra libéraux semblent s’opposer encore sur le fondement des seuls arguments économiques et de la compétitivité des entreprises à ce projet permettant d’établir un meilleur service public de la justice et d’éviter des violations éclatantes du droit de la concurrence.
Pour autant, le « projet de texte sur l’action de groupe » rédigé à la suite de réunions interministérielles entre Bercy et la Chancellerie ne suscite pas l’adhésion mais bien plutôt la désapprobation de tous bords (patronat, associations de consommateurs, avocats). Celui-ci sera en principe proposé à l’automne. Il est possible que le député Luc Chatel soit le rapporteur de ce texte.
Or, Monsieur Luc Chatel a lui-même déposé le 26 avril 2006 une proposition de loi visant à intégrer des dispositions nouvelles dans le code de la consommation.
La procédure inspirée du recours collectif québécois comporte deux phases.
Dans un premier temps, il appartient à toute association de consommateurs agréées d'agir en réparation des préjudices individuels causés par le fait d'un même professionnel et qui ont une origine commune.
Pour cette action qui doit être initiée devant le tribunal de grande instance du siège social du professionnel mis en cause, l’association n’a pas à justifier de mandat.
Au cours de la première étape, le juge saisi statue sur la recevabilité de l'action.
Si il estime le recours à cette action justifié au regard des circonstances, il rend une décision qui déclare l'action recevable et qui ne pourra faire l'objet d'un appel qu'avec le jugement sur le fond. Dans le cadre de cette décision, le juge détermine la composition du groupe de consommateurs ainsi que les conditions de notification d'un avis aux consommateurs représentés par l’association.
A la différence de l’action québécoise, les consommateurs pourraient soit s'exclure (opt-out) soit intervenir (opt-in) à l'instance. Le mécanisme d'opt-out serait applicable lorsque le montant du préjudice individuel serait inférieur à un seuil défini par décret. Au-delà de ce seuil, le mécanisme d'opt-in serait applicable.
Au cours de la seconde étape, le juge se prononce sur la question des dommages et intérêts qui peuvent être attribués par voie d'allocations individuelles ou collectives. Le juge détermine les conditions et délais à l'intérieur desquels le consommateur pourra faire valoir sa créance.
Dans la même idée de ce qu’avait proposé la FNUJA dans sa motion sur l’action de groupe voté lors de son comité centralisé du 18 février 2006, un fonds d'aide d'accès à la justice est créé pour avancer certains frais. Ici, il s’agit de frais engagés soit par des consommateurs soit par des associations, notamment dans le cadre de recours collectifs si l'action présente des chances sérieuses de succès.
La représentation et la défense d'intérêts en justice, y compris collectifs, requièrent une déontologie, une compétence et une organisation que seuls les avocats peuvent garantir.
Le problème est qu’en l’état des projets, seules les associations de consommateurs pourraient initier ce type de recours, à l’exclusion des simples consommateurs pourtant victimes directes. Autrement dit seule la poignée d’avocats défendant habituellement ces associations aurait la faculté de conseiller cette nouvelle action…
Il devient urgent que le CNB continue à être force de propositions dans ce débat politique où les avocats sont des acteurs incontournables. Les jeunes avocats qui travaillent dans l’ombre en tant que « partenaires » exigeants de la justice y veilleront. Le CNB doit réussir à convaincre que cette réforme non seulement est indispensable mais que, bien encadrée, elle favorisera l’accès au droit et permettra à tous de progresser dans un climat plus serein. Sa motion du 6 juillet 2006 va dans le bon sens.
Soliman LE BIGOT
Secrétaire général de la FNUJA
slebigot@lbmavocats.com