Le Figaro- JUSTICE Plusieurs rassemblements sont prévus cet après-midi à Paris et dans toute la France.
BATTRE le pavé n'a jamais vraiment fait partie de leurs habitudes. Aujourd'hui, pourtant, magistrats et avocats se rejoindront sur le terrain de la protestation pour dénoncer le malaise de l'institution judiciaire : attaques répétées, projet de réforme « insuffisant » et promesses sacrifiées ont, en l'espace de quelques mois, fait enfler la grogne. Jusqu'à ce soir, les tribunaux devraient donc tourner au ralenti. « Nous appelons à des actions dans toutes les juridictions, insiste Côme Jacqmin, secrétaire général du Syndicat de la magistrature (SM, minoritaire). Nous demandons également à nos collègues de respecter la grève des avocats en renvoyant systématiquement les audiences. » Deux rassemblements distincts, cet après-midi sur les marches du Palais de justice de Paris, devraient illustrer l'ampleur du mouvement qui, hasard du calendrier, a lieu un an jour pour jour après l'annonce du verdict de l'affaire d'Outreau.
Rejointe par FO-magistrats et le Syndicat des greffiers de France, l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), qui avait initialement été autorisée par la Préfecture de police à manifester devant le ministère place Vendôme, a été contrainte au dernier moment de se rabattre sur l'île de la Cité pour appeler au « respect de la justice et des magistrats ». Personne, à l'USM, n'a en effet oublié les violentes critiques de Nicolas Sarkozy vis-à-vis de la justice des mineurs lorsque, au mois de septembre, il avait taxé les juges de « faiblesse » et de « laxisme » face aux jeunes récidivistes.
Mais l'USM, comme le SM, réclame également « plus de moyens pour une justice de qualité ». « Nous sommes dans une situation où les juridictions fonctionnent avec des bouts de chandelle, dénonce notamment Côme Jacqmin. Les procédures s'alourdissent, la durée des audiences devient totalement déraisonnable et les dispositions prévues par la Chancellerie ne vont pas assez loin en terme de budget : la machine judiciaire est en surchauffe ! »
Les avocats, eux, arrivent particulièrement bien entraînés pour cette journée d'action. Emmenés par le Conseil national des barreaux et la Conférence des bâtonniers, ils en sont aujourd'hui à leur troisième grève depuis début novembre. Leur combat tient en deux mots : aide juridictionnelle (AJ). Cette subvention, accordée aux personnes les plus démunies n'ayant pas forcément les moyens de s'offrir les services d'un avocat, est de moins en moins rentable pour les défenseurs. Alors qu'ils réclamaient une revalorisation de 15 % de l'indemnisation horaire, celle-ci a finalement été revue à la baisse, pour n'atteindre que 6 %.
Divorce et conflit de voisinage
En province, pourtant, nombreux sont ceux à vivre de ces indemnités versées par l'État. « À titre d'exemple, pour un divorce pour faute un avocat de province percevra de l'État, en fin de procédure, et quelle qu'en soit la durée, 740,18 eur brut ou 370,09 eur net avant impôt », souligne le Conseil national des barreaux dans un communiqué. Autre cas de figure : « devant le tribunal d'instance, dans le cadre d'un conflit de voisinage [...], l'État lui versera moins de 350 eur brut pour une procédure qui va durer plusieurs mois ».
Aux yeux du Syndicat des avocats de France (SAF), le débat dépasse le simple aspect financier. « Il est temps de permettre aux personnes en difficulté un meilleur accès au droit, insiste Florent Vieille. Aujourd'hui, pour être admissible à l'aide juridictionnelle, il ne faut pas gagner plus de 859 euros par mois : même un smicard n'y a pas droit ! » La modification récente de certaines lois, enfin, ne facilite pas la tâche des avocats prenant la défense d'un bénéficiaire de l'AJ. « Depuis six mois, souligne une avocate, un commis d'office défendant un client étranger désargenté n'a d'autre choix que de prendre à sa charge les frais d'interprète lorsqu'il le visite en prison ».
Rejointe par FO-magistrats et le Syndicat des greffiers de France, l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), qui avait initialement été autorisée par la Préfecture de police à manifester devant le ministère place Vendôme, a été contrainte au dernier moment de se rabattre sur l'île de la Cité pour appeler au « respect de la justice et des magistrats ». Personne, à l'USM, n'a en effet oublié les violentes critiques de Nicolas Sarkozy vis-à-vis de la justice des mineurs lorsque, au mois de septembre, il avait taxé les juges de « faiblesse » et de « laxisme » face aux jeunes récidivistes.
Mais l'USM, comme le SM, réclame également « plus de moyens pour une justice de qualité ». « Nous sommes dans une situation où les juridictions fonctionnent avec des bouts de chandelle, dénonce notamment Côme Jacqmin. Les procédures s'alourdissent, la durée des audiences devient totalement déraisonnable et les dispositions prévues par la Chancellerie ne vont pas assez loin en terme de budget : la machine judiciaire est en surchauffe ! »
Les avocats, eux, arrivent particulièrement bien entraînés pour cette journée d'action. Emmenés par le Conseil national des barreaux et la Conférence des bâtonniers, ils en sont aujourd'hui à leur troisième grève depuis début novembre. Leur combat tient en deux mots : aide juridictionnelle (AJ). Cette subvention, accordée aux personnes les plus démunies n'ayant pas forcément les moyens de s'offrir les services d'un avocat, est de moins en moins rentable pour les défenseurs. Alors qu'ils réclamaient une revalorisation de 15 % de l'indemnisation horaire, celle-ci a finalement été revue à la baisse, pour n'atteindre que 6 %.
Divorce et conflit de voisinage
En province, pourtant, nombreux sont ceux à vivre de ces indemnités versées par l'État. « À titre d'exemple, pour un divorce pour faute un avocat de province percevra de l'État, en fin de procédure, et quelle qu'en soit la durée, 740,18 eur brut ou 370,09 eur net avant impôt », souligne le Conseil national des barreaux dans un communiqué. Autre cas de figure : « devant le tribunal d'instance, dans le cadre d'un conflit de voisinage [...], l'État lui versera moins de 350 eur brut pour une procédure qui va durer plusieurs mois ».
Aux yeux du Syndicat des avocats de France (SAF), le débat dépasse le simple aspect financier. « Il est temps de permettre aux personnes en difficulté un meilleur accès au droit, insiste Florent Vieille. Aujourd'hui, pour être admissible à l'aide juridictionnelle, il ne faut pas gagner plus de 859 euros par mois : même un smicard n'y a pas droit ! » La modification récente de certaines lois, enfin, ne facilite pas la tâche des avocats prenant la défense d'un bénéficiaire de l'AJ. « Depuis six mois, souligne une avocate, un commis d'office défendant un client étranger désargenté n'a d'autre choix que de prendre à sa charge les frais d'interprète lorsqu'il le visite en prison ».
Le Monde- Les avocats en grève pour l'aide juridictionnelle
Grève des audiences, manifestations : vendredi 1er décembre, les avocats joignent leur voix au ras-le-bol des magistrats. Pour les barreaux, c'est la troisième journée de grève depuis le mois de juin. La cause de cette exaspération est la rémunération versée par l'Etat aux avocats intervenant dans le cadre de l'aide juridictionnelle, qui permet aux plus démunis de se défendre.
Le ministre de la justice a refusé, lors du vote de son budget à l'Assemblée nationale, un amendement parlementaire qui prévoyait une rallonge de 25 millions d'euros en ponctionnant d'autres dépenses. Le budget 2007 prévoit une augmentation de la rémunération des avocats de 6 %. Ils réclamaient une hausse de 15 %, promise en 2003 par le gouvernement.
"Des promesses ont été faites, qui n'ont pas été tenues", a rappelé Frank Natali, président de la Conférence des bâtonniers. Avec le barreau de Paris et le Conseil national des barreaux (province), la Conférence espère obtenir gain de cause au Sénat le 4 décembre.
"PAS DE QUÉMANDEURS"
L'unité de valeur servant de base au paiement des avocats, fixée à 20,84 euros, et censée couvrir une demi-heure de travail, n'a augmenté que de 2 % depuis 2000. Dans ce cadre, un avocat touche un forfait de 34 unités de valeur pour une procédure de divorce pour faute, ou 8 unités pour défendre un prévenu devant le tribunal correctionnel.
"Pour avoir assisté une personne dans une affaire de stupéfiants, depuis le début de l'instruction, en avril, j'ai touché 420 euros", témoigne un pénaliste parisien, excédé. "L'aide juridictionnelle représente entre 20 % et 25 % de mon chiffre d'affaires, ce ne sont pas des dossiers rentables", affirme Isabelle Besombes-Corbel, avocate spécialisée dans les affaires familiales à Nanterre. "Ces dossiers demandent autant de travail, parfois plus, car c'est une clientèle qui demande plus d'attention. Aujourd'hui je diminue cette activité, explique-t-elle. Quand j'assiste un mineur au tribunal des enfants, cela me rapporte environ 400 euros, alors que je facturerais au minimum 1 200 euros pour un client payant." Les avocats "ne sont pas des quémandeurs, explique le bâtonnier de Paris, Yves Repiquet. Mais le droit à l'aide juridictionnelle, c'est un droit à la qualité, or elle ne couvre pas les frais réels."
L'aide de l'Etat permet pourtant à un nombre croissant de personnes d'accéder à la justice : 700 000 en 2000, et 940 000 prévues en 2007. Chaque année, la moitié des 45 000 avocats exercent au moins une mission dans ce cadre. Une procédure pénale sur cinq, mais aussi deux procédures de divorce sur trois, se déroulent avec l'aide d'Etat. Une somme de 323 millions d'euros est inscrite au budget 2007 de la justice.
Indexés sur le coût de la vie, les plafonds de revenus permettant d'être éligible à l'aide n'ont cessé d'augmenter au fil des années. Le ministère de la justice a aussi créé de nouveaux ayants droit, étendant l'aide en matière d'application des peines ou accordant son bénéfice, sans conditions de ressources, aux mineurs et à certaines victimes.
Après la précédente journée de grève du 16 novembre, le garde des sceaux, Pascal Clément, a annoncé une table ronde avec la profession, en janvier 2007. Les avocats veulent remettre le système à plat, en poussant parallèlement le gouvernement à revoir le système de protection juridique des compagnies d'assurances, qui imposent à leurs clients le choix de leurs avocats. Une proposition de loi pourrait être déposée début 2007 sur ce sujet.
Nathalie Guibert
Le ministre de la justice a refusé, lors du vote de son budget à l'Assemblée nationale, un amendement parlementaire qui prévoyait une rallonge de 25 millions d'euros en ponctionnant d'autres dépenses. Le budget 2007 prévoit une augmentation de la rémunération des avocats de 6 %. Ils réclamaient une hausse de 15 %, promise en 2003 par le gouvernement.
"Des promesses ont été faites, qui n'ont pas été tenues", a rappelé Frank Natali, président de la Conférence des bâtonniers. Avec le barreau de Paris et le Conseil national des barreaux (province), la Conférence espère obtenir gain de cause au Sénat le 4 décembre.
"PAS DE QUÉMANDEURS"
L'unité de valeur servant de base au paiement des avocats, fixée à 20,84 euros, et censée couvrir une demi-heure de travail, n'a augmenté que de 2 % depuis 2000. Dans ce cadre, un avocat touche un forfait de 34 unités de valeur pour une procédure de divorce pour faute, ou 8 unités pour défendre un prévenu devant le tribunal correctionnel.
"Pour avoir assisté une personne dans une affaire de stupéfiants, depuis le début de l'instruction, en avril, j'ai touché 420 euros", témoigne un pénaliste parisien, excédé. "L'aide juridictionnelle représente entre 20 % et 25 % de mon chiffre d'affaires, ce ne sont pas des dossiers rentables", affirme Isabelle Besombes-Corbel, avocate spécialisée dans les affaires familiales à Nanterre. "Ces dossiers demandent autant de travail, parfois plus, car c'est une clientèle qui demande plus d'attention. Aujourd'hui je diminue cette activité, explique-t-elle. Quand j'assiste un mineur au tribunal des enfants, cela me rapporte environ 400 euros, alors que je facturerais au minimum 1 200 euros pour un client payant." Les avocats "ne sont pas des quémandeurs, explique le bâtonnier de Paris, Yves Repiquet. Mais le droit à l'aide juridictionnelle, c'est un droit à la qualité, or elle ne couvre pas les frais réels."
L'aide de l'Etat permet pourtant à un nombre croissant de personnes d'accéder à la justice : 700 000 en 2000, et 940 000 prévues en 2007. Chaque année, la moitié des 45 000 avocats exercent au moins une mission dans ce cadre. Une procédure pénale sur cinq, mais aussi deux procédures de divorce sur trois, se déroulent avec l'aide d'Etat. Une somme de 323 millions d'euros est inscrite au budget 2007 de la justice.
Indexés sur le coût de la vie, les plafonds de revenus permettant d'être éligible à l'aide n'ont cessé d'augmenter au fil des années. Le ministère de la justice a aussi créé de nouveaux ayants droit, étendant l'aide en matière d'application des peines ou accordant son bénéfice, sans conditions de ressources, aux mineurs et à certaines victimes.
Après la précédente journée de grève du 16 novembre, le garde des sceaux, Pascal Clément, a annoncé une table ronde avec la profession, en janvier 2007. Les avocats veulent remettre le système à plat, en poussant parallèlement le gouvernement à revoir le système de protection juridique des compagnies d'assurances, qui imposent à leurs clients le choix de leurs avocats. Une proposition de loi pourrait être déposée début 2007 sur ce sujet.
Nathalie Guibert