Une réglementation nationale ne peut interdire totalement, aux experts-comptables, d’effectuer des actes de démarchage
Une telle interdiction, prohibée par la directive « services », constitue une restriction à la libre prestation des services transfrontaliers
La directive « services » (1) vise à établir un marché des services, libre et concurrentiel, pour favoriser la croissance économique et la création d'emplois dans l'Union européenne. À ce titre elle prévoit l'élimination des obstacles à la liberté d'établissement et à la libre circulation des services entre États membres, tels que les interdictions totales de toutes formes de communications commerciales pour les professions réglementées (2) permettant de promouvoir, directement ou indirectement, les biens, les services ou l’image d’une entreprise. La directive vise par ailleurs à sauvegarder les intérêts des consommateurs en améliorant la qualité des services des professions réglementées dans le marché intérieur.
Le code français de déontologie des professionnels de l’expertise comptable(3) interdit aux membres de cette profession d’effectuer tout acte de démarchage, c’est-à-dire toute prise de contact avec un tiers qui ne l’a pas sollicitée, en vue de proposer ses services à ce dernier. Leur participation à des colloques, séminaires ou autres manifestations universitaires ou scientifiques est autorisée dans la mesure où ils ne se livrent pas, à cette occasion, à des actes assimilables à du démarchage.
La Société fiduciaire a saisi le Conseil d’État (France) afin d’annuler cette réglementation estimant que l’interdiction qu’elle édicte est contraire à la directive « services ».
Le Conseil d'État a décidé d'interroger la Cour de justice sur l’interprétation de cette directive, en demandant si les États membres peuvent interdire, de façon générale, aux membres d’une profession réglementée – telle que celle des experts comptables – de se livrer à des actes de démarchage.
Selon la Cour, il s’avère tout d’abord, qu’en adoptant cette directive, le législateur de l'Union cherchait à mettre fin, d’une part, aux interdictions totales, pour les membres d'une profession réglementée, de recourir aux communications commerciales quelle qu’en soit la forme. D’autre part, il avait l’intention d’éliminer les interdictions de recourir à une ou plusieurs formes de communications commerciales, telles que notamment la publicité, le marketing direct ou le parrainage. Doivent également être considérées comme des interdictions totales, proscrites par la directive, les règles professionnelles interdisant de communiquer, dans un média ou dans certains d’entre eux, des informations sur le prestataire ou sur son activité.
Cependant, les États membres restent libres de prévoir des interdictions relatives au contenu ou aux modalités des communications commerciales pour les professions réglementées, pour autant que les règles édictées sont justifiées et proportionnées afin d'assurer l'indépendance, la dignité et l'intégrité de la profession ainsi que le secret professionnel.
Ensuite, la Cour analyse la portée de la notion de démarchage afin de déterminer s’il constitue une « communication commerciale » qu’un État membre ne peut interdire, de façon générale et absolue, en vertu de la directive.
Le droit de l’Union ne comportant pas de définition légale de la notion de « démarchage », la Cour l’interprète comme une forme de communication d'informations destinée à rechercher de nouveaux clients qui implique un contact personnalisé entre le prestataire et le client potentiel, afin de présenter à ce dernier une offre de services. Il peut, de ce fait, être qualifié de marketing direct. Le démarchage constitue donc une communication commerciale au sens de la directive.
Par conséquent, la Cour répond que l’interdiction pour les experts-comptables d’effectuer tout démarchage peut être considérée comme une interdiction totale des communications commerciales prohibée par la directive.
En effet, l'interdiction édictée de manière large, par la réglementation française, prohibe toute activité de démarchage, quelle qu’en soit sa forme, son contenu ou les moyens employés. Dès lors, cette interdiction prohibe tous les moyens de communication permettant sa mise en oeuvre.
Il s’ensuit qu’une telle interdiction doit être considérée comme une interdiction totale des communications commerciales constituant, dès lors, une restriction à la libre prestation de services transfrontaliers. En effet, cette interdiction est susceptible d’affecter davantage les professionnels provenant des autres États membres en les privant d’un moyen efficace de pénétration du marché français.
i[(1) Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO L 376, p.36). Les États membres devaient transposer cette directive, au plus tard, le 28 décembre 2009.
(2) Une profession réglementée est « une activité ou un ensemble d’activités professionnelles dont l’accès, l’exercice ou une des modalités d’exercice est subordonné directement ou indirectement, en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession de qualifications professionnelles déterminées […] ».
(3) Article 12-I du code de déontologie des professionnels de l’expertise comptable. Ce code est entré en vigueur le 1er décembre 2007. Il est annexé au décret n°2007-1387, du 27 septembre 2007, du 27 septembre 2007 (JORF du 28 septembre 2007, p.15847).
Ordonnance n°45-2138, du 19 septembre 1945 (JORF du 21 septembre 1945, p.5938) ; décret n° 97-586 du 30 mai 1997 (JORF du 31 mai 1997, p.8510) ; ordonnance n°2004-279 du 25 mars 2004 (JORF du 27 mars 2004, p.5888) ; décret n°2007-1387, du 27 septembre 2007 (JORF du 28 septembre 2007, p.15847).]i
(2) Une profession réglementée est « une activité ou un ensemble d’activités professionnelles dont l’accès, l’exercice ou une des modalités d’exercice est subordonné directement ou indirectement, en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession de qualifications professionnelles déterminées […] ».
(3) Article 12-I du code de déontologie des professionnels de l’expertise comptable. Ce code est entré en vigueur le 1er décembre 2007. Il est annexé au décret n°2007-1387, du 27 septembre 2007, du 27 septembre 2007 (JORF du 28 septembre 2007, p.15847).
Ordonnance n°45-2138, du 19 septembre 1945 (JORF du 21 septembre 1945, p.5938) ; décret n° 97-586 du 30 mai 1997 (JORF du 31 mai 1997, p.8510) ; ordonnance n°2004-279 du 25 mars 2004 (JORF du 27 mars 2004, p.5888) ; décret n°2007-1387, du 27 septembre 2007 (JORF du 28 septembre 2007, p.15847).]i