Monsieur le
Bâtonnier de Paris,
Madame le Ministre, chère Nicole
Guedj
Messieurs les Députés,
Mesdames et Messieurs les Hautes
Personnalités du monde judiciaire,
Mesdames et Messieurs les
Avocats,
Mesdames et Messieurs,
Décidément, le plaisir de participer à cette cérémonie de
rentrée ne peut s’émousser. Année après année, la jeune garde du barreau
vient présenter ses hommages à ses plus hautes instances et, avec
solennité, elle se livre à un concours d’impertinences dont nous sommes
les victimes consentantes.
Dans quelques instants, je ne serai pas non plus épargné, mais
c’est justement le privilège des fonctions que j’occupe que de suivre,
tous les ans à la même époque, une cure d’humilité. Car, ici, l’ironie
est maniée avec conviction.
Il y a de l’enthousiasme chez les jeunes avocats. Ils le mettent
au service de l’éloquence, en cherchant, quoique avec présomption, à
concurrencer leur bâtonnier dont nous connaissons les mérites en ce
domaine.
D’Alembert disait un jour devant l’Académie Française que «
l’éloquence est le talent qui permet d’imprimer avec force dans l’âme
des autres le sentiment profond dont on est pénétré ».
Il ajoutait que « ce talent sublime a son germe dans une
sensibilité rare pour le grand et pour le vrai ». Je suis heureux que
cette sensibilité et cette noble tradition des gens de justice, et du
barreau de Paris, en particulier, soient toujours aussi vivaces.
Elle honore toute la communauté des avocats, dont je retiens,
Monsieur le Bâtonnier, qu’il ne faut pas avoir peur, si j’ai bien
entendu vos propos. Je tiens donc à vous rassurer : je viens devant vous
sans peur … Et pourtant, je viens vous parler de la réforme de la
justice.
Mais cette réforme ne saurait vous déplaire. Elle a pour
objectif de garantir les libertés des justiciables.
Si l’on devait la rattacher à nos grands principes juridiques,
je dirais qu’elle s’inspire de l’article 7 de la déclaration des droits
de l’homme et du citoyen et de l’article 6 de la convention européenne
des Droits de l’Homme. Le premier rappelle que «tout homme est présumé
innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable».
Le deuxième précise que « toute personne a droit à ce que sa
cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai
raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial ».
L’affaire OUTREAU pose de nombreuses questions aux
professionnels du droit, sur l’organisation judiciaire, sur la formation
des magistrats, sur l’expertise ou sur l’étendue des droits de la
défense. Au citoyen, elle n’en pose qu’une : et si cela avait été moi
?
Je veux dire par là que l’émotion de tous les Français face aux
acquittés d’Outreau est telle que chacun s’est identifié au drame qu’ils
ont vécu.
C’est donc à cette question, à cette seule question, que je
veux répondre : comment juger les coupables sans condamner des innocents
?
1 - Cet objectif n’est possible que si la détention
provisoire retrouve son caractère exceptionnel.
La détention provisoire ne doit être pas être la norme,
notamment dans les affaires correctionnelles.
Elle doit, en outre,
être limitée à la durée strictement nécessaire à ses
objectifs.
Le projet de loi que j’ai présenté il y a un mois devant le
conseil des ministres prévoit que l’ordre public ne pourra plus être
utilisé pour la prolongation ou le maintien en détention en matière
correctionnelle. Ce critère est en revanche conservé pour le placement
en détention.
L’assistance par un avocat lors du débat relatif à la détention
provisoire sera obligatoire. Le débat sera public sauf opposition du
parquet ou du mis en examen dans certains cas limitativement énumérés,
telles que les nécessités de l’instruction, de la sérénité des débats,
de la dignité de la personne ou pour respecter les intérêts d’un
tiers.
Pour limiter les détentions provisoires, le Juge des Libertés et
de la Détention pourra différer le débat préalable au placement en
détention provisoire afin de vérifier certains éléments de personnalité
du mis en examen.
Le président de la chambre de l’instruction pourra enfin
organiser une audience publique de la chambre de l’instruction six mois
après le premier placement en détention provisoire. Elle portera sur
l’ensemble de la procédure.
2 - L’exigence d’un procès équitable nécessite d’améliorer le
contradictoire pendant l’enquête et au cours de
l’instruction.
Le renforcement du contradictoire suppose d’abord, en matière
criminelle, l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires des
personnes gardées à vue ou mises en examen.
Cela existe déjà dans nombre de pays étrangers, comme
l’Angleterre, pour les gardes à vue, ou l’Italie, pour les
interrogatoires devant les juges d’instruction.
Le but n’est nullement de revenir sur le caractère écrit des
procédures, ni de se défier des enquêteurs ou des magistrats, mais de
sécuriser les actes qui ont été accomplis dans les affaires les plus
graves en permettant, en cas de contestation, le visionnage des
enregistrements.
Le renforcement du caractère contradictoire de
l’instruction aboutit à l’adoption de mesures majeures.
Les parties auront la possibilité de demander des confrontations
individuelles. Elles pourront également contester la mise en examen
après chaque notification d’expertise ou interrogatoire, ainsi que tous
les 6 mois. Actuellement, cela n’est pas possible après les 6 premiers
mois.
L’expertise sera rendue plus contradictoire sur plusieurs
points. Les modifications proposées reprennent en grande partie les
propositions du groupe de travail mis en place à la Chancellerie il y a
plus d’un an avec les avocats.
Une information des parties de la décision du juge ordonnant une
expertise sera prévue. Les parties auront la possibilité de faire
désigner un co-expert de leur choix, de préciser la mission confiée à
l’expert et d’obtenir un rapport d’étape ou un pré-rapport.
Par ailleurs, le règlement des informations sera aussi concerné
par ce renforcement du contradictoire.
Ainsi, le juge devra statuer au vu des réquisitions du parquet
et des observations des parties qui, chacun, auront pu répliquer à ces
réquisitions ou observations. Désormais, l’ordonnance de renvoi devra
préciser les éléments à charge et à décharge concernant chacune des
personnes mises en examen.
Entendre, écouter et respecter le mis en examen, c’est justement
faire le bilan écrit de tous les éléments ayant émergé lors de
l’instruction. C’est pourquoi je suis très attaché à cette mesure qui
sera une preuve tangible de l’investissement et de l’objectivité du juge
d’instruction dans ses fonctions.
3 – Garantir un procès équitable, c’est aussi limiter la
durée des instructions.
Trop souvent, la durée des instructions est excessive, ce qui
porte une atteinte injustifiée à la présomption d’innocence, atteinte
qui devient inadmissible lorsque des personnes sont détenues.
Il convient d’éviter l’ouverture d’instructions injustifiées.
Une limitation est donc apportée à la règle selon laquelle le criminel
tient le civil en l’état, cette règle n’étant maintenue que pour
l’action civile en réparation du dommage causé par
l’infraction.
Ainsi une plainte avec constitution de partie civile pour vol
déposée par l’employeur dans le seul but de paralyser la contestation du
licenciement aux prud’hommes n’aura plus l’effet recherché, ce qui
devrait limiter le nombre des informations.
4 – Approfondir l’exigence de justice nécessite par ailleurs
de favoriser le travail en équipe des magistrats.
La solitude du juge d’instruction a depuis longtemps été
dénoncée. Cette solitude est d’autant plus problématique lorsqu’elle
concerne un jeune magistrat qui se trouve chargé, dès son premier poste,
d’une affaire présentant une particulière complexité.
Je propose ainsi la création des pôles de l’instruction et
l’extension du recours à la cosaisine.
Ces pôles seront compétents en matière de crimes et pour les
informations faisant l’objet d’une cosaisine ; les autres affaires
resteront instruites par le juge d’instruction territorialement
compétent.
Tous les Tribunaux de Grande Instance conserveront donc au moins
un juge d’instruction. Dans tous les cas, le jugement des affaires
continuera de relever de la juridiction compétente.
Pour accompagner cette réforme, je souhaite que les frais de
déplacements supplémentaires supportés par les avocats pour se rendre
dans les pôles de l’instruction soient pris en compte au titre de l’aide
juridictionnelle.
Par ailleurs, afin d’assurer un accès en temps réel aux
dossiers, j’ai décidé d’accélérer la mise en place de la numérisation
des procédures pénales, en concertation bien sûr avec la profession
d’avocats.
D’ici la fin de l’année, une centaine de tribunaux de grande
instance devraient expérimenter cette numérisation.
Ces pôles permettront enfin une meilleure répartition des moyens
matériels, notamment pour développer la visioconférence.
5 – Je veux enfin renforcer la protection des mineurs
victimes
Les dysfonctionnements de l’affaire Outreau ne doivent pas faire
oublier la réalité des souffrances subies par les mineurs victimes de
violences sexuelles.
Aussi, je souhaite rendre obligatoire l’enregistrement des
auditions des mineurs victimes.
Par ailleurs, le projet prévoit l’assistance obligatoire d’un
mineur victime par un avocat lors de son audition par le juge, le cas
échéant avec un avocat commis d’office.
Vous le savez, cette mesure est incontournable, tant pour
protéger le mineur que pour favoriser la manifestation de la
vérité.
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* *
Le Parlement examinera cette réforme dès la mi-décembre et je
souhaite qu’elle soit adoptée dans les premiers mois de l’année 2007.
Bien entendu, ce n’est pas le grand soir de la justice, mais il
s’agit d’un premier pas fondamental. Les dispositions de ce projet de
loi sont une avancée majeure dans le rééquilibrage de notre procédure
pénale.
Elles permettront à l’institution judiciaire d’intervenir de
façon plus transparente et mieux comprise des justiciables, dans un plus
grand respect des droits des parties, et tout spécialement des droits de
la défense.
En effet, je veux que ce projet de loi soit exemplaire sur les
droits de la défense et que le rôle de l’avocat y soit essentiel, car on
ne peut limiter les erreurs judiciaires sans renforcer la place de
l’avocat dans le procès pénal.
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* *
L’accès de tous les citoyens à une défense de qualité est
également au cœur de mes préoccupations.
Je ne saurai donc vous répondre, Monsieur le bâtonnier, sans
évoquer le sujet de l’aide juridictionnelle.
Je suis parfaitement conscient des difficultés rencontrées par
les avocats en matière d’aide juridictionnelle et je suis avec attention
les actions qui sont actuellement menées par les barreaux.
Depuis 5 ans, plusieurs réformes sont venues améliorer la
rétribution de l’avocat au titre de l’aide juridictionnelle.
Je rappelle ainsi qu’en 2001, une première revalorisation du
barème de rétribution de plusieurs procédures a été réalisée pour un
coût global de 56 millions d'euros. En 2002, des travaux ont été engagés
avec vos instances professionnelles et ont donné lieu, en septembre
2003, à une nouvelle majoration du barème pour quinze procédures,
représentant un effort financier de 11,3 millions d’euros. Enfin, la loi
de finances pour 2004 a augmenté de 2 % le montant de l'unité de valeur
pour un coût de 4,5 millions d’euros.
Par ailleurs, j’ai décidé, en octobre 2005, la constitution d’un
groupe de concertation avec les représentants de la profession, lequel
se réunit régulièrement.
Vous le savez, j’ai annoncé le 15 septembre dernier, devant le
Conseil National des barreaux, une revalorisation pour l’année 2007 de 6
% du montant de l’unité de valeur.
Cela représente un effort financier de 16,3 millions d’euros
dans un contexte budgétaire particulièrement difficile.
Quelle est la situation ?
Les dépenses d’aide juridictionnelle augmentent régulièrement.
Elles représentent un poids de plus en plus lourd pour les finances
publiques. L’augmentation de l’unité de valeur ne peut être la seule
réponse.
Il me semble préférable d’agir sur les barèmes par type
d’intervention des avocats qui permettent de mieux rémunérer leur action
pour les interventions les plus complexes.
Je vous propose d’ouvrir dans les prochaines semaines une
réflexion approfondie sur ce sujet. J’ai donc décidé d’organiser des «
Assises de l’aide juridictionnelle et de l’accès au droit » au mois de
janvier.
Elles seront l’occasion d’échanger, avec l’ensemble des acteurs
concernés, sur l’avenir de l’aide juridique, qu’il s’agisse des niveaux
de rétribution de la profession d’avocat, de la reconnaissance d’une
défense de qualité, et de la coordination de l’aide juridictionnelle
avec l’assurance de protection juridique.
En effet, pour beaucoup de nos concitoyens, exclus par le niveau
de leurs revenus du dispositif de l’aide juridique, l’accès au droit
passe avant tout par l’assurance de protection juridique.
Sans attendre le résultat de ces Assises, la Chancellerie a
rédigé, en accord avec le ministère de l’économie, des finances et de
l’industrie, un projet de réforme de l’assurance de protection juridique
qui a reçu l’arbitrage favorable du Premier ministre.
Cette réforme conduit à améliorer le dispositif existant dans
deux directions essentielles.
Il s’agit en premier lieu de réinsérer l’avocat dans la phase de
tentative de règlement amiable du litige. Il apparaît en effet
indispensable que l’assuré soit assisté ou représenté par un avocat
lorsque son adversaire l’est également de son côté. Seront ainsi
garantis l’égalité des parties et la confidentialité des échanges,
propices à la transaction, que seul permet le dialogue entre deux
avocats.
En outre, l’assurance de protection juridique conduit trop
souvent l’assuré à se voir proposer un avocat recommandé par l’assureur.
L’avocat ainsi désigné ne peut développer sa stratégie de défense qu’en
tenant compte des limites de coût fixées par l’assureur. Désormais,
l’avocat choisi par l’assuré n’aura de compte à rendre qu’à ce dernier
et pour bien marquer cette indépendance, il sera interdit à l’assureur
de négocier avec l’avocat le montant de ses honoraires.
La qualité de la prestation juridique de cette assurance ne peut
en effet être améliorée sans garantir le caractère libéral de la
profession d’avocat.
La réforme, qui sera de nature à développer
cette assurance afin qu’elle constitue une réponse efficace pour l’accès
au droit des classes moyennes, est essentielle : elle est attendue tant
par les représentants des consommateurs que par vous-mêmes.
Je m’engage à la faire aboutir avant la fin de la législature :
elle sera examinée par le Sénat en janvier et par l’Assemblée Nationale
en février.
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Vous avez également évoqué, Monsieur le Bâtonnier, le futur TGI
de Paris. Je sais à quel point les avocats parisiens sont attachés à
l’île de la Cité. Moi aussi, j’aime cet endroit dont la localisation
centrale est un symbole de la place juridique de Paris.
Le site de l’hôtel Dieu a été étudié par mon prédécesseur et la
démonstration a été malheureusement faite qu’à lui seul il était très
insuffisant pour ce projet. Le maire de Paris s’y est d’ailleurs
fortement opposé.
Sur 12 sites étudiés, un seul permet d’implanter le TGI dans des
conditions conformes à notre idée d’une justice de qualité , c’est le
site « Tolbiac .»
Le concours international d’idées lancé cet été par
l’établissement public du palais de justice de Paris, permettra de
savoir d’ici peu si les architectes et urbanistes pensent que ce TGI est
réalisable sur ce site.
Ensuite viendra le temps de la décision et je vous assure que
vous serez de nouveau consultés.
J’ajouterai que le déménagement du TGI aurait un autre effet
bénéfique : il permettra de regrouper dans l’ile de la Cité des
juridictions aujourd’hui dispersées dans Paris.
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Je voudrais enfin aborder, avec vous, la question du
blanchiment.
La transposition de la deuxième directive a donné lieu à
un important travail de concertation, permettant de faire émerger des
solutions, qui préservent l’éthique professionnelle exigeante que vous
défendez avec raison. C’est donc en utilisant cette même méthode, faite
de dialogue et de concertation, que nous devons aborder la
transposition de la directive du 26 octobre 2005 (dite troisième
directive anti-blanchiment).
C’est pourquoi, j’ai, avec mon
collègue Thierry BRETON, confié à deux éminentes personnalités, un
avocat, Maître Jean-Louis FORT et un haut magistrat Monsieur Yves
Charpenel, avocat général près la Cour de cassation, une mission
conjointe visant à préparer cette transposition.
Il leur
appartient d’ouvrir des consultations nombreuses, notamment avec les
représentants de votre profession. Aujourd’hui encore, il s’agit de
concilier le respect des exigences de la directive et des
recommandations du GAFI avec les principes essentiels qui guident la
profession d’avocat.
Je sais pouvoir compter sur votre esprit de
dialogue et votre sens des responsabilités pour y parvenir.
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Monsieur le Bâtonnier,
En juin dernier, devant l’Académie des Sciences Morales et
Politiques, vous définissiez ce que serait l’avocat de demain.
Vous l’espériez « acteur reconnu d’un système judiciaire réformé
et sentinelle vigilante des droits fondamentaux ».
Je partage votre conviction.
La réforme de la justice ne se fera pas sans vous, et je tiens à
vous assurer que je veux la construire avec vous.
Je vous remercie de votre attention.