Les avocates aussi victimes de discrimination à la grossesse

Vendredi 17 Décembre 2010

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Le 16 Décembre 2010
Par Charlotte Menegaux




Dans une profession habituée à la discrétion, des voix s'élèvent pour dénoncer les trop fréquentes ruptures de contrats après un congé maternité. Une pratique facilitée par le statut de collaborateur libéral propre à tout jeune avocat. Explications.

«La discrimination à l'encontre des jeunes mamans avocates est un vrai problème», affirme Romain Carayol, président de la Fédération nationale des unions des jeunes avocats (FNUJA). Avec un chiffre à l'appui : «Dans les dix premières années d'exercice, une femme sur trois quitte la profession».

Quelques constats issus d'une enquête réalisée sur le barreau de Paris en 2008 * corroborent cette idée : «70 % des femmes éprouvent des difficultés dans l'exercice professionnel, et 50 % estiment que ces difficultés sont liées à leur statut de femme ; plus de 50 % ne peuvent concilier vie professionnelle et vie de famille ; 71 % des avocates ont été confrontées à des difficultés lors de leur grossesse (1 femme sur 5 a pris un congé maternité trop court) ; 25 % des femmes n'ont pas pris de congé maternité et 7 % ont été licenciées en fin de grossesse».

C'est sur ce dernier point que des avocats du barreau strasbourgeois ont décidé de monter au créneau : le 8 novembre dernier, ils ont lancé une motion dénonçant les «discriminations liées à l'état de grossesse et à la maternité» qui a recueilli plus de 160 signatures. «La fréquence de ces ruptures de contrat ne relève pas d'une simple coïncidence (…) Cette situation est d'autant plus choquante qu'elle émane d'avocats dont le serment est d'exercer leurs fonctions avec dignité et humanité » s'insurge le texte. En période d'élection du dauphin du bâtonnat (ndlr : du bâtonnier de l'année prochaine), cette motion a eu l'effet de susciter la parole. Dans le monde feutré des robes noires où il ne fait pas bon élever la voix, c'est un coup de gueule notable.


Pas rentable

L'usage voudrait-il qu'on ne puisse pas fonder de famille, tout en étant avocate ? Le problème, en réalité, découle du statut du collaborateur libéral, par lequel passe tout jeune avocat. En contrepartie de leur possibilité de développer une clientèle personnelle, ils sont soumis au risque de se faire licencier à tout moment, sans bénéficier d'aucune aide ni d'aucune protection sociale.

Or, comble de la précarité : l'avocate enceinte n'est pas rentable. Il faut en effet lui verser des rétrocessions d'honoraires durant son congé maternité sans qu'elle ne fasse de chiffre.

Pour endiguer le phénomène et aider les cabinets à ne pas subir les conséquences financières d'un congé maternité, l'ancien bâtonnier Christian Charrière-Bournazels a mis en place le dispositif «Chance maternité» dans le barreau de Paris en 2008. Un partenariat entre l'ordre des avocats et la compagnie d'assurances «Prévoyance des avocats» permet aux femmes de toucher leurs revenus, et aux cabinets de ne plus subir d'augmentation de leur cotisations ou d'ajout de nouvelles charges. Romain Carayol, le président de la FNUJA salue l'initiative, mais après un an et demi de pratique, met en garde contre «les effets pervers» du système : «Cela permet finalement aux cabinets de remplacer les consœurs absentes, et peut donc leur donner envie de garder le ou la remplaçante, à l'issue du congé maternité». Et s'il signale cette dérive, c'est qu'il a eu «un certain nombre de remontées sur le sujet».

«Très mal vu»

Le problème des collaboratrices enceintes se corse souvent à leur retour au travail. Déjà parce qu'elles ne sont plus protégées par leur grossesse, qui interdit aux associés de les licencier. Mais aussi parce que les aménagements d'horaires pour les jeunes mamans ne courent pas vraiment les rues dans la profession.

«Dans certains cabinets, il est très mal vu de partir à 18h pour aller chercher son enfant à la crèche, reconnaît Me Emmanuel Karm. Et ce même si les femmes partent avec des dossiers sous le bras pour travailler de chez elles le soir». «Tout le monde sait très bien que, dans ce type de cabinet, les collaboratrices n'ont pas intérêt à tomber enceinte pour leur carrière !» regrette-t-il.

Mais le phénomène ne touche pas que elles avocates libérales. «Combien de fois j'entends 'Ah, il est 18h30 Solenne **, c'est votre heure !' ou bien, si j'arrive une fois à 9h45 :'Où étiez-vous ce matin ?'» témoigne aussi une avocate salariée du barreau de Paris, qui bénéficie de par son statut de la protection du Code du travail. Dans le même cabinet depuis onze ans, Solenne vit très mal l'intention avouée des six associés de se séparer d'elle à l'issue de sa troisième grossesse pour «motif économique». Elle qui aurait plutôt espéré devenir associée, et se prépare aujourd'hui à saisir le conseil de l'Ordre.

C'est le dernier recours de nombreuses femmes qui se disent victimes de discrimination liée à la grossesse et à la maternité. D'après Romain Carayol, «dans 90 % des cas, un passage devant la'commission collaboration'du conseil de l'ordre aboutit à une conciliation réussie». A l'avocate ensuite de voir si elle veut monter son propre cabinet, ou, comme un tiers de ses consœurs, quitter la profession.


SG