On se souvient avec émotion combien notre consœur France Moulin avait été, malgré elle, emblématique de l'atteinte, par les pouvoirs publiques, au secret professionnel et aux nécessités de l'exercice des droits de la défense.
Nous devons aujourd'hui nous féliciter qu'elle soit à l'origine d'une précision fondamentale de notre droit, le parquet, autorité de poursuite, est nécessairement une partie au procès qui, en dépit des tentations de ces dernières années, ne peut se targuer des vertus d'indépendance dévolues au seul juge du siège. Par sa décision du 23 novembre, la Cour Européenne met fin au débat et, elle est heureuse.
Deux conséquences doivent être immédiatement tirées de cette décision.
"L'habeas Corpus" à la française, exigé de fait par la Cour, impose que le projet de réforme sur la GAV soit expurgé de toutes les dispositions qui avaient été imaginées pour permettre de restreindre le droit du gardé à vue à l'assistance d'un avocat sur simple décision du Procureur. Ces dispositions prévues dans le projet de loi, qui en l'état de la jurisprudence posaient d'ores et déjà difficulté quant à leur légalité, sont nécessairement anéanties par la décision de la Cour.
De même, la décision du renouvellement de la mesure de garde à vue pour 24h, ne peut plus être rendue par le procureur de la République.
Il s'agit, pour les jeunes avocats d'une double évidence, que pourtant d'aucun contestait hier encore.
Stéphane DHONTE
Premier-vice Président
Extrait du Communiqué de Presse :
Sur la Décision de la Cour et l'Article 5 § 3
"La Cour a déjà jugé qu’une période de garde à vue de plus de quatre jours et six heures sans contrôle judiciaire était contraire à l’article 5 § 3 (Arrêt Brogan c. Royaume-Uni, 29/11/1988). Or entre son placement en garde à vue le 13 avril 2005 et sa présentation aux juges d’instruction d’Orléans le 18 avril 2005 pour l’interrogation de «première comparution », la requérante n’a pas été entendue personnellement par les juges d’instruction en vue d’examiner le bien-fondé de sa détention. En effet, outre l’incompétence territoriale des juges d’instruction d’Orléans pour se prononcer sur la légalité d’une détention à Toulouse, ces juges se sont strictement contentés de procéder aux opérations de perquisition et de saisie au cabinet de la requérante, à l’exclusion de toute autre mesure, et ils ne l’ont pas rencontrée lors de leur visite à hôtel de police le 15 avril. Par ailleurs, les cinq jours écoulés entre le 13 et le 18 avril ne sauraient être traités en plusieurs périodes distinctes comme le suggère le gouvernement, puisqu’ils relèvent bien de la période suivant immédiatement l’arrestation.
La Cour examine ensuite si la présentation de la requérante au procureur adjoint du tribunal de grande instance de Toulouse le 15 avril 2005, soit deux jours après son arrestation, peut être considérée comme une traduction devant une autorité judiciaire au sens de l’article 5 § 3. La Cour observe qu’en France les magistrats du siège et les membres du ministère public sont soumis à un régime différent. Ces derniers sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques au sein du Parquet, et sous l’autorité du garde des sceaux, ministre de la Justice, donc du pouvoir exécutif. A la différence des juges du siège, ils ne sont pas inamovibles et le pouvoir disciplinaire les concernant est confié au ministre. Ils sont tenus de prendre des réquisitions écrites conformes aux instructions qui leur sont données dans les conditions du code de procédure pénale, même s’ils peuvent développer librement les observations orales qu’ils croient convenables au bien de la justice.
Il n’appartient pas à la Cour de prendre position sur le débat concernant le lien de dépendance effective entre le ministre de la Justice et le ministère public en France, ce débat relevant des autorités du pays. La Cour ne se prononce en effet que sous l’angle de l’article 5 § 3 et la notion autonome d’ «autorité judiciaire» au sens de cette disposition et de sa jurisprudence. Or, la Cour considère que, du fait de leur statut, les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif ; l’indépendance compte, au même titre que l’impartialité, parmi les garanties inhérente à la notion autonome de « magistrat » au sens de l’article 5 § 3. En outre, la Cour rappelle que les caractéristiques que doit avoir un juge ou magistrat pour remplir les conditions posées par l’article 5 excluent notamment qu’il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, ce qui est le cas du ministère public. Dès lors, le procureur adjoint de Toulouse, membre du ministère public, ne remplissait pas, au regard de l’article 5 § 3, les garanties d’indépendance pour être qualifié, au sens de cette disposition, de « juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ».
Ainsi, la garde à vue de Mme Moulin ne répondait pas aux exigences de l’article 5 § 3."
"La Cour a déjà jugé qu’une période de garde à vue de plus de quatre jours et six heures sans contrôle judiciaire était contraire à l’article 5 § 3 (Arrêt Brogan c. Royaume-Uni, 29/11/1988). Or entre son placement en garde à vue le 13 avril 2005 et sa présentation aux juges d’instruction d’Orléans le 18 avril 2005 pour l’interrogation de «première comparution », la requérante n’a pas été entendue personnellement par les juges d’instruction en vue d’examiner le bien-fondé de sa détention. En effet, outre l’incompétence territoriale des juges d’instruction d’Orléans pour se prononcer sur la légalité d’une détention à Toulouse, ces juges se sont strictement contentés de procéder aux opérations de perquisition et de saisie au cabinet de la requérante, à l’exclusion de toute autre mesure, et ils ne l’ont pas rencontrée lors de leur visite à hôtel de police le 15 avril. Par ailleurs, les cinq jours écoulés entre le 13 et le 18 avril ne sauraient être traités en plusieurs périodes distinctes comme le suggère le gouvernement, puisqu’ils relèvent bien de la période suivant immédiatement l’arrestation.
La Cour examine ensuite si la présentation de la requérante au procureur adjoint du tribunal de grande instance de Toulouse le 15 avril 2005, soit deux jours après son arrestation, peut être considérée comme une traduction devant une autorité judiciaire au sens de l’article 5 § 3. La Cour observe qu’en France les magistrats du siège et les membres du ministère public sont soumis à un régime différent. Ces derniers sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques au sein du Parquet, et sous l’autorité du garde des sceaux, ministre de la Justice, donc du pouvoir exécutif. A la différence des juges du siège, ils ne sont pas inamovibles et le pouvoir disciplinaire les concernant est confié au ministre. Ils sont tenus de prendre des réquisitions écrites conformes aux instructions qui leur sont données dans les conditions du code de procédure pénale, même s’ils peuvent développer librement les observations orales qu’ils croient convenables au bien de la justice.
Il n’appartient pas à la Cour de prendre position sur le débat concernant le lien de dépendance effective entre le ministre de la Justice et le ministère public en France, ce débat relevant des autorités du pays. La Cour ne se prononce en effet que sous l’angle de l’article 5 § 3 et la notion autonome d’ «autorité judiciaire» au sens de cette disposition et de sa jurisprudence. Or, la Cour considère que, du fait de leur statut, les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif ; l’indépendance compte, au même titre que l’impartialité, parmi les garanties inhérente à la notion autonome de « magistrat » au sens de l’article 5 § 3. En outre, la Cour rappelle que les caractéristiques que doit avoir un juge ou magistrat pour remplir les conditions posées par l’article 5 excluent notamment qu’il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, ce qui est le cas du ministère public. Dès lors, le procureur adjoint de Toulouse, membre du ministère public, ne remplissait pas, au regard de l’article 5 § 3, les garanties d’indépendance pour être qualifié, au sens de cette disposition, de « juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ».
Ainsi, la garde à vue de Mme Moulin ne répondait pas aux exigences de l’article 5 § 3."