L'arrêté du 21 mars 2007, approuvé par la FNUJA, lance une polémique d'arrière-garde entre les Facultés de droit et Sciences Po Paris

Mercredi 18 Avril 2007

Lors de son comité national du 18 novembre 2006, la FNUJA a approuvé, à l'instar de l'UJA de Paris et après débat avec le professeur Christophe JAMIN, un projet de modification de l'arrêté du 25 novembre 1998 fixant la liste des titres et diplômes reconnus comme équivalents à la maîtrise en droit pour l'exercice de la profession d'avocat, projet consistant à reconnaître au master de nature juridique délivrés par Sciences Po Paris de permettre de passer l'examen d'entrée aux CRFPA (après IEJ, mais sans nécessité d'un master délivré par une Faculté de droit classique).

L'arrêté modificatif a été pris le 21 mars 2007 et vient d'être publié au JO du 8 avril 2007 (cf. copie en pièce jointe ci-dessous), ce dont la FNUJA ne peut que se féliciter tout en souhaitant qu'il puisse également être étendu, pour les diplômes de même nature, aux IEP de Province.

Mais la polémique enfle depuis quelques jours à l'initiative de certains professeurs droit. Nous publions donc, dans un souci de respect du contradictoire propre aux avocats, quelques éléments du débat.


Présentation succincte des mentions du master de Sciences Po concernées

L'arrêté du 21 mars 2007 autorise à passer l'examen d'entrée au CRFPA les étudiants titulaires des "mentions carrières judiciaires et juridiques et droit économique du diplôme de l'Institut d'études politiques de Paris".

Le master de Sciences Po sanctionne 5 années d'étude:

- une premier cycle de 3 ans,

- un deuxième cycle de 2 ans, comprenant 11 mentions dont 2 d'ordre juridique:

1/ La mention Carrières judiciaires et juridiques:

Elle a pour vocation de former des étudiants qui se destinent à des métiers dont l'accès et l'exercice requièrent de solides connaissances juridiques: magistrats de l'ordre judiciaire, avocat civiliste ou pénaliste, commissaire de police et officier de gendarmerie. La mention prépare ainsi les élèves au concours de l'ENM, d'officier de gendarmerie et de commissaire de police, de même qu'à l'examen d'entrée au CRFPA.

2/ La mention Droit économique:

Dirigée par le professeur Marie-Anne FRISON-ROCHE, elle s'adresse aux étudiants juristes qui souhaitent compléter leur formation, et à des étudiants qui n'ont pas suivi de cursus antérieur en droit mais qui souhaitent acquérir une formation juridique substantielle, soit pour s'orienter vers un métier nécessitant une culture juridique solide en droit économique (certains domaines de la finance, commissariat aux comptes, commerce international, etc.), soit pour travailler comme juriste d'entreprise, avocat d'affaires ou consultant.

Cette seconde mention offre en 5ème année trois voies de spécialisation:
. en Droit des marchés et de la régulation,
. en Droit et globalisation économique (co-organisé avec l'Université de Paris I),
. en Droit européen économique (co-organisé avec l'Université Robert Schuman - Strasbourg III).

Pour des renseignements plus détaillés sur ces cursus: www.sciences-po.fr

Précisons que le master de Sciences Po est suivi par des élèves qui, pour 50%, viennent des premiers cycles répartis sur les campus de Dijon, Menton, Nancy, Paris et Poitiers, et que 50% sont admis directement en 4ème année (après avoir suivi, pour les mentions juridiques, le plus souvent une formation en Faculté de droit).

Rappelons enfin que Sciences Po Paris est statutairement, à l'instar de Dauphine, une université et non pas une grande école.

La réaction des professeurs de Facultés de droit

A l'initiative du professeur Frédéric ROLIN, dont le Blog alimente la polémique, un recours devrait être formé aux fins de voir annuler cet arrêté et une pétition circule sur Internet dont voici le texte:

Appel des membres des Facultés de droit contre la remise en cause de l’utilité des études juridiques dans la formation des avocats par l’arrêté du 21 mars 2007

Depuis plus de deux siècles, les Facultés de droit ont rempli avec succès la double mission qui leur a été confiée. Faire de la pensée juridique française une des plus reconnues dans le monde, et donner à leurs étudiants une formation de très haut niveau, gage de leur insertion et de leur réussite professionnelle.

Chacun s’accorde à reconnaître ces succès ainsi que la volonté des Facultés de droit de poursuivre leur évolution pour que, dans le cadre d’un univers juridique globalisé, cette double mission puisse continuer d’être menée à bien.

Cela, malgré un contexte réglementaire et budgétaire peu favorable d’une part, et en prenant en compte le renouvellement profond de leurs publics d’autre part.

Pourtant, par un arrêté du 21 mars 2007, les ministres de la Justice et de l’Education nationale viennent d’engager une profonde remise en cause de l’action des Facultés de droit.

Ils ont en effet décidé que les étudiants diplômés de l’Institut d’études politiques de Paris pourraient désormais avoir directement accès à l’examen d’entrée aux écoles de formation des élèves avocats, et cela, sous la réserve d’avoir suivi tout au plus trois semestres d’enseignements juridiques.

Les membres des Facultés de droit, signataires du présent appel, émettent une protestation solennelle contre cette décision, inacceptable, aussi bien au fond que sur la forme.

Au fond, cette décision conduit à initier dans le domaine juridique la création de « Grandes Ecoles », tropisme français, alors que précisément le dynamisme des Facultés de droit démontre au quotidien que des filières d’excellence peuvent être conjuguées avec les exigences d’accès au plus grand nombre, qui sont l’apanage des formations universitaires.

Cette décision conduit également à la mise en place d’une concurrence artificielle, entre les Facultés de droit, auxquelles les moyens financiers et humains sont chichement comptés, et un établissement qui peut s’appuyer sur une dotation par étudiant dix fois plus importante qu’à l’Université.

Cette décision, de plus, en appelle de nouvelles : après l’IEP de Paris, nul doute que les écoles de commerce, publiques et privées, se verront reconnaître les mêmes droits, conduisant ainsi, par un effet mécanique, à priver les Facultés de droit de leurs meilleurs éléments et obérant ainsi leur avenir.

Ni la science juridique, ni la formation des juristes n’en seront améliorées. Il ne s’agit ici nullement de remettre en cause la qualité des diplômes délivrés par l’IEP de Paris, mais chacun sait qu’aujourd’hui, toute réforme sérieuse de l’enseignement supérieur passe par la nécessité de conforter les institutions universitaires et de renforcer les collaborations avec les autres institutions. D’ailleurs, la tradition d’échanges entre Sciences-po et les Facultés de droit est déjà ancienne et ne demande qu’à être approfondie.

Sur la forme, cette décision est également inacceptable.

Prise au beau milieu de la campagne présidentielle, alors que les projets de réforme de l’Université en général et des Facultés de droit en particulier sont en cours d’élaboration, elle en obère d’avance la mise en œuvre et la réussite.

Prise sans aucune concertation, elle témoigne du peu de cas dont témoignent les autorités administratives à l’égard de la communauté universitaire.

Prise enfin, en contradiction avec les engagements souscrits par le Ministre de l’enseignement supérieur en 2004, et réservant aux Facultés de droit la délivrance du diplôme national de Master, elle atteste de l’incapacité de tenir une ligne droite et ferme dans la politique de réforme de l’Université.

Pour toutes ces raisons, les membres des Facultés de droit signataires du présent appel sont conduits à demander aux ministres signataires de l’arrêté de retirer celui-ci. Ils ont également décidé de former, devant la juridiction compétente, un recours tendant à son annulation et à sa suspension.

Ils demandent aux candidats à l’élection présidentielle de prendre parti sur cette question, considérant qu’elle constitue un test sur leur volonté de mener à bien une réforme de l’enseignement supérieur qui préserve l’avenir de l’Université.

Ils sollicitent également les membres du barreau, qui connaissent les vertus de la formation dispensée dans les Facultés de droit, pour qu’ils se mobilisent à leur côté.


Pour en savoir plus: frederic-rolin.blogspirit.com

Le débat se poursuit également sur le blog du directeur de Sciences Po:
richard-descoings.net

Position de la FNUJA

Bien que l'on puisse s'attendre, comme pour la réforme de la gratification des stages, à une levée de boucliers de certains Barreaux, les jeunes avocats, via leur syndicat représentatif, rappellent qu'ils n'ont pas manqué d'être consultés sur ce projet qu'ils ont approuvé dans la mesure où:

- l'examen d'entrée au CRFPA a justement été institué pour vérifier la solide formation juridique des impétrants, de telle sorte que l'utilité des études juridiques dans la formation des avocats - qu'ils soient diplomés d'une Faculté de droit ou d'un master juridique de Sciences Po (dont on connait le succès au concours de l'ENM) - n'est nullement remise en cause,

- la formation juridique dispensée à Sciences Po, dans les mentions concernées par des professeurs d'université et des professionnels reconnus dans leur domaine de compétence, apparaît non seulement sérieuse au niveau des acquis fondamentaux, mais encore particulièrement adaptée aux besoins actuels et futurs des Cabinets d'avocats compte tenu de l'évolution du marché du droit,

- le nombre de candidats admis à Sciences Po (moins de 15% en master) ne risque nullement de tarir la vocation naturelle des Facultés de droit à former l'immense majorité des étudiants aux professions juridiques et judiciaires,

- l'allongement de la durée de la formation initiale au sein des CRFPA, couplée avec une obligation de suivre des études en Faculté de droit, risquait de priver la profession d'avocat, dont on connaît le problème d'attractivité, de s'enrichir de professionnels aux compétences également reconnues et recherchées par les Cabinets,

- le système de bourse mis en place à Sciences Po (et dont devrait peut-être s'inspirer les CRFPA...) permet à tous d'accéder à sa formation sans sélection d'ordre pécuniaire.

Ce débat d'arrière-garde entre universitaires, plus ou moins engagés politiquement, n'est-il pas finalement qu'un prétexte, en cette période électorale, pour attirer l'attention des candidats sur la nécessité d'une réforme des universités afin de leur donner les moyens de leur vocation pour l'enseignement du droit (cf. rapport du professeur Didier TRUCHET précédemment publié en pages Actualité du site de la FNUJA) ?

Loïc DUSSEAU
Président de la FNUJA

Position de l'UNEDESEP

Vous trouverez également, en pièce jointe, le communiqué de presse diffusé le 30 avril 2007 par la fédération des étudiants en sciences sociales, l'UNEDESEP, qui exprime une position que l'on pourrait qualifier de vigilante quant à l'avenir de lenseignement du droit mais plutôt favorable à la réforme: "la diversité est une chance qui ne doit pas aboutir à un enseignement juridique à deux vitesses."

Loïc Dusseau