L’arrestation de Pinochet. Célébrer l’universel ou l’exception ?

Dans une tribune publiée dans les pages OPINIONS du journal lemonde.fr, la FNUJA et de nombreuses organisations membres de la CFCPI (Coalition française pour la Cour pénale Internationale) "fêtent" les 10 ans de l'anniversaire de l'arrestation du général Pinochet à Londres et constatent que, aujourd'hui encore et malgré la ratification du Statut de Rome créant la Cour Pénale Internationale, cela ne serait pas possible en France.



Article visible sur le lien suivant : http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/10/16/l-arrestation-de-pinochet-celebrer-l-universel-ou-l-exception_1107876_3232.html)

Le 16 octobre 1998, le Général Augusto Pinochet Ugarte était arrêté lors d’un déplacement à Londres à la suite d’un mandat d’arrêt émis par le juge espagnol, Baltasar Garzón. La chambre des Lords votait la levée de son immunité quelques semaines plus tard. Cette décision a mis fin à un quart de siècle d’impunité depuis le renversement du gouvernement démocratiquement élu de Salvador Allende et l’instauration d’une dictature responsable de plusieurs milliers d’assassinats, de disparitions et d’actes de torture. L’arrestation de l’ancien chef d’État ne peut être lue comme un évènement propre à l’histoire chilienne.

L’évènement est universel à titre symbolique. Cette arrestation a permis aux victimes ou aux familles de victimes de crimes similaires commis sur d’autres continents d’espérer que leurs auteurs soient également jugés un jour. L’évènement est universel à titre juridique. Cet exemple met en lumière le principe d’une compétence extraterritoriale dont la définition est simple. La compétence extraterritoriale ou universelle permet aux tribunaux nationaux de poursuivre, lorsqu’ils se trouvent sur leur territoire, les auteurs présumés de crimes commis à l’étranger contre un étranger.

Cette arrestation s’inscrit dans l’histoire de la création de normes internationales en matière de justice portée par les tragédies collectives du long XXème siècle. Instaurée par le Tribunal militaire de Nuremberg en 1945, elle s’est prolongée par le procès en 1961 d’Adolf Eichmann à Jérusalem. Au début des années quatre-vingt-dix, le Conseil de sécurité de l’ONU instituait les tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie puis pour le Rwanda. Plus récemment, 120 États réunis à Rome approuvaient en 1998 la fondation de la Cour Pénale Internationale.

La France fut, avec ses partenaires de l’Union européenne, l’un des premiers États à ratifier le Traité de Rome sous le gouvernement de Lionel Jospin en 2000.

Mais il a fallu attendre 2008 pour qu’elle envisage enfin, dans un projet adopté par le Sénat mais pas encore par l’Assemblée nationale, de poursuivre en France les auteurs de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, comme le prévoit le Traité de Rome. Encore le Sénat n’a-t-il franchi cette étape qu’à contrecœur, en vidant aussitôt le principe de sa substance. Ainsi le texte exige-t-il, pour que de tels criminels soient poursuivis, qu’ils établissent leur « résidence habituelle » en France : à ce compte, l’arrestation de Pinochet, qui n’avait évidemment pas établi sa « résidence habituelle » en Angleterre, aurait été impossible. Ainsi encore les sénateurs ont-ils voulu empêcher les victimes de génocide, crimes contre l’humanité ou crimes de guerre de saisir directement la justice, contrairement aux victimes de crimes de droit commun qui, en France, peuvent se constituer partie civile.

La réticence française est particulièrement choquante au regard de l’extrême gravité des crimes en question. Elle l’est aussi au moment où la France préside l’Union européenne. Les tribunaux allemands, anglais, danois, espagnols, belges, néerlandais, ont déjà jugé des Bosniaques, des Afghans, des Argentins, des Rwandais responsables de tels crimes. La plupart des membres de l’Union ont de plus procédé à une harmonisation de leur législation à l’exemple de l’Allemagne, de la Belgique, de l’Espagne, de la Norvège, des Pays Bas ou du Portugal.

Etat d’exception en matière de poursuites judiciaires pour des crimes d’exception, la France renforce l’impunité des criminels internationaux sur son territoire. La célébration de l’arrestation de Pinochet témoignerait-elle du caractère strictement symbolique de la politique française ? Prétendre à l’universel. Se contenter de l’exception.



Pour aller plus loin, un lien toujours utile : le site de la Coalition française pour la Cour pénale internationale (www.cfcpi.fr)
Lundi 20 Octobre 2008
Massimo BUCALOSSI

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