Introduction
Les débats relatifs à l’avocat en entreprise ont été vifs.
Le vote intervenu lors de l’Assemblée Générale du Conseil National des Barreaux du 20 novembre 2010 met fin, - à tout le moins temporairement – à l’idée de créer le statut d’avocat salarié d’une entreprise.
L’objet du présent est rapport est tout autre : Pouvons-nous, et devons-nous, créer un statut d’avocat détaché en entreprise ?
Certains grands cabinets de conseil sont d’ores et déjà coutumiers du détachement de leurs collaborateurs chez leurs clients, preuve qu’il existe une demande conséquente de la part de certains de nos Clients.
Et l’on comprend les raisons d’une telle demande : notre profession est la seule capable de proposer ce service dans l’entreprise sous couvert d’indépendance et de confidentialité.
Précisons que lorsque l’on parle d’avocat libéral exerçant au sein d’une entreprise, il ne faut pas se cantonner au collaborateur qui serait détaché par son cabinet, mais également s’interroger sur l’avocat libéral exerçant à son compte qui souhaiterait exercer temporairement dans entreprise.
Exercer en entreprise pourrait sous-entendre « avocat en entreprise » et non pas « détaché en entreprise».
Pour ne pas que la réflexion sur la question de l’avocat détaché soit polluée par un nouveau débat sur l’avocat en entreprise, débat pour l’heure clos par le CNB, il est primordial de bien comprendre que la question de l’avocat indépendant qui choisirait de « s’auto détacher » dans les locaux d’un de ses clients est une situation qui peut parfaitement être encadrée par nos règles déontologiques préexistantes et qui en tout état de cause serait particulièrement difficile à contrôler.
La notion même de détachement sous entend pour l’avocat dont s’agit « d’être détaché » et non pas de s’auto détacher pour aller exercer en entreprise.
Le présent rapport se limitera donc au seul collaborateur.
D’emblée, la question est de savoir si le détachement en entreprise est compatible avec le statut de l’avocat et respectueux de l’indépendance, du secret professionnel et du développement de sa clientèle personnelle.
Aucune disposition du RIN n’interdit, en soi, la pratique du détachement d’un avocat, collaborateur ou non, en entreprise.
Mais d’aucuns ne contestera que des dérives sur la nature et la durée des missions sont souvent constatées, raison pour laquelle les recours en requalification et des citations correctionnelles pour travail dissimulé et prêt de main d’œuvre illicite se multiplient.
Il est donc légitime, voire primordial, de s’interroger sur une éventuelle règlementation du statut particulier de l’avocat libéral détaché en entreprise.
Et ce dans le but clairement affiché d’éviter toute possibilité d’atteinte à notre déontologie en général et au statut du collaborateur en particulier.
1. Etat des lieux et analyse du phénomène de détachement d’un avocat libéral en entreprise
Le phénomène du détachement de l’avocat en entreprise n’est pas nouveau.
Aujourd’hui, plus de 400 collaborateurs seraient concernés par ce phénomène.
Les entreprises concernées sont le plus souvent de grands groupes (distribution, aéronautique, industrie pharmaceutique, télécoms, agro-alimentaire, banques…).
Les cabinets envoient en général un collaborateur en détachement 4 à 5 fois par an, ou 1 fois par an.
Le détachement concerne le plus souvent des collaborateurs qui comptent de 3 à 5 ans d’exercice.
La durée du détachement est variable, comprise entre 6 mois et 1 an.
Dans le cadre de travaux sur la question, la Commission Collaboration et Formation de l’UJA de Paris a recueilli plusieurs témoignages d’avocats ayant été détachés en entreprise.
Le premier témoignage d’une collaboratrice d’un grand cabinet détachée dans une banque pendant 6 mois montre que :
Le cabinet a accepté le détachement à deux conditions :
• le cabinet continuait à payer la rétrocession d’honoraires, mais facturait les services de l’avocat détaché à la banque (du montant de la rétrocession + 10% pour les frais et coûts annexes)
• le contrat de collaboration était maintenu,
L’avocat détaché a travaillé pendant 6 mois uniquement pour la banque et n’avait plus aucune relation avec son cabinet
Cette collaboratrice a beaucoup apprécié le détachement, elle y était très autonome et a acquis beaucoup de liberté dans son exercice.
Elle a également développé ses compétences et estime que le détachement devrait être un passage obligé pour tous les avocats de 3 à 4 ans d’exercice,
Elle était soumise aux horaires, règlement intérieur et congés de la banque,
Elle signait ses mails par la mention « consultant externe » et non par la mention avocat,
Avec les clients ou partenaires de la banque, elle se présentait comme juriste détachée et si elle était en relation avec un avocat, elle se présentait comme avocat. Mais elle souligne ici le problème du conflit d’intérêts qui se posait. D’autres problèmes déontologiques se posaient : surtout avec les commerciaux qui demandent parfois des certifications de la banque ou du cabinet pour certains contrats.
Le rapprochement entre le cabinet et la banque a été favorisé,
Elle s’occupe désormais, au sein du cabinet, en toute autonomie de ce client et même d’autres clients maintenant,
Selon elle, le détachement est un moyen efficace pour investir le collaborateur dans la marche du cabinet et constitue un moyen d’accès vers l’association du collaborateur au sein du cabinet. Une relation de confiance est établie entre le collaborateur et son cabinet.
Le deuxième témoignage recueilli montre que :
La collaboratrice du cabinet a été recrutée pour être détachée,
Le cabinet avait conclu une convention de prestation avec l’entreprise de détachement,
Le cabinet facturait la rétrocession d’honoraires de la collaboratrice à l’entreprise,
L’accueil de la collaboratrice dans l’entreprise a été très bon,
La collaboratrice rencontrait régulièrement son associé pour faire le point sur le détachement,
Le détachement a duré 6 mois. Elle a été embauchée par l’entreprise mais n’exclut pas de revenir en cabinet.
Comme le premier témoignage, la question de la présentation et de la signature des courriers, mails lui posait problème. Elle ne mentionnait pas sa qualité d’avocat.
Selon elle, le détachement est une expérience qui profite autant au cabinet, qu’au collaborateur et à l’entreprise, qui bénéficie d’un avocat efficace.
Le cabinet a un retour d’expérience sur la gestion, l’organisation et le fonctionnement internes de l’entreprise.
Il peut ainsi mieux adapter ses réponses aux besoins de l’entreprise et l’entreprise est fidélisée au cabinet.
MAIS :
Le fait que les 3 parties aient trouvé le détachement intéressant ne remet pas en cause la question PRIMORDIAL et le constat évident : le statut même de la collaboration libérale a ici été bafoué !
Dès lors des questions d’ordre juridique et déontologique se posent : compatibilité des statuts, situation du collaborateur libéral et du collaborateur salarié, développement de la clientèle personnelle, etc….
Au surplus les expériences de détachement constatées ont révélé d’autres difficultés :
D’une part, pour le collaborateur, le détachement comporte également une prise de risque : pour garantir la réussite de sa mission, il doit réussir à s’intégrer à l’équipe qui l’accueille dans l’entreprise, mais il doit aussi à son retour, après plusieurs mois d’absence, réussir à s’intégrer à nouveau dans son propre cabinet.
Des cabinets profitent de l’occasion créée par le détachement pour se séparer du collaborateur sans que celui-ci n’ait, par ailleurs, une proposition d’embauche de l’entreprise dans laquelle il est détaché, par exemple.
D’autre part, le collaborateur s’est souvent trouvé dans une situation délicate tant du point de vue de sa responsabilité civile, du secret professionnel, de la qualité qu’il doit afficher (avocat ? consultant externe ? autre ?) que des conditions matérielles de son détachement (bureau, outils de communication électronique, liens avec le cabinet, etc) et de la valorisation du travail accompli à son retour dans le cabinet.
2. Situation du collaborateur détaché dans l’entreprise
- S’agissant de l’avocat salarié :
L’avocat salarié conserve l’indépendance que comporte son serment.
Le lien de subordination est donc limité à la détermination de ses conditions de travail (Cass. soc., 11 avril 2002, n°129).
Et rien ne nous semble prohiber, au point de vue déontologique, le détachement d’un avocat salarié d’un cabinet, dans une entreprise.
A la seule condition toutefois que le détachement se fasse dans une limite de temps accompagné d’une limite des renouvellements.
- S’agissant du collaborateur libéral :
La situation de détachement peut (MAIS NE DOIT PAS) entraîner en pratique :
l’apparition d’un lien de subordination entre le collaborateur et son cabinet et entre le collaborateur et le client ;
l’impossibilité pour le collaborateur de pouvoir développer effectivement sa clientèle personnelle, la créer, la développer, gérer son cabinet, ses audiences, ses archives, ses rendez vous clients….
Dans ce contexte, on ne peut que rappeler le risque de requalification en contrat de travail attaché à cette situation de détachement :
Dès lors, et afin de préserver le statut de la collaboration, de le rendre compatible avec celui du détachement et d’éviter les risques de requalification et/ou de poursuites pénales, un encadrement des relations entre l’entreprise, le cabinet et le collaborateur doit être construit et impérativement formalisé.
Cet encadrement a pour objectif de rendre transparente, et opposable à l’ensemble des parties concernées, une relation qui jusqu’à présent, ne l’est pas.
C’est pourquoi il nous est apparu nécessaire de dresser une liste de critères qui devront nécessairement régir le statut de l’avocat détaché en entreprise. Ces critères sont reportés ci-dessous :
- Sur le caractère temporaire du détachement : le détachement doit être nécessairement limité dans le temps compte tenu du fait qu’il doit correspondre à une mission spécifique dont le terme doit être déterminable : la spécificité de la mission confiée au collaborateur définit et justifie le détachement en lui-même.
Le détachement en entreprise n’apparait en effet justifié et justifiable et de nature à ne pas remettre en cause le statut d’avocat, salarié ou collaborateur libéral, que s’il correspond à une mission spécifique clairement définie.
Cette mission spécifique doit être exercée par l’avocat concerné pour le compte de son cabinet au sein de l’entreprise.
- Sur l’organisation de la présence au sein de l’entreprise :
Tout détachement à 100% du temps de l’avocat est à bannir.
La liberté qui préside à la collaboration libérale veut que le collaborateur puisse traiter ses dossiers personnels ou assurer ses heures de formation en totale liberté.
Le point essentiel est qu’il ne doit donc pas être contraint par l’organisation interne de l’entreprise.
Si l’indépendance vis-à-vis de son cabinet lui est garantie par les dispositions de son contrat de collaboration libérale, il convient de le préciser dans le cadre de ses relations avec l’entreprise auprès de laquelle il est détaché, notamment quant à :
sa totale liberté d’organisation de ses conditions matérielles et temporelles de travail au sein de l’entreprise,
l’absence de tout pouvoir disciplinaire de l’entreprise à son égard,
le maintien apparent de sa qualité d’avocat, y compris dans les correspondances, papiers ou électronique, qu’il adresse, consultations et notes qu’il réalise.
La qualité d’avocat doit être apparente.
La présentation de l’avocat détaché en entreprise doit être clarifiée : il n’est pas question pour lui de cacher son statut à l’égard des confrères qu’il est amené à rencontrer pendant son détachement comme à l’égard de ses autres interlocuteurs. Les mails et correspondances doivent être signés en sa qualité d’avocat, et en aucun cas faire mention du nom de l’entreprise.
L’avocat ne devra pas avoir de carte de visite mentionnant le nom de l’entreprise, ni figurer dans la liste des salariés de l’entreprise.
Il ne doit en aucun cas demander à ses clients de le joindre via le téléphone de l’entreprise.
Le secret professionnel et la confidentialité sont attachés à l’avocat comme à l’entreprise.
L’avocat détaché doit afficher sa qualité sur tout support qu’il est amené à manier.
La confidentialité doit être assurée
Les règles relatives au secret professionnel et à la confidentialité s’appliquant à l’avocat détaché seront exactement celles actuellement prévues par les articles 2 et 3 du R.I.N
L’avocat doit être assuré de disposer d’un bureau dans lequel il travaille seul, dont lui seul a accès, et ne pas être raccordé au réseau informatique de l’entreprise, ou à tout le moins, de disposer d’un hébergement informatique sécurisé, autonome et exclusif et qui lui permette d’accéder à son poste de travail au sein du cabinet (système VPN ou tout autre système d’accès à distance)..
Les relations avec le cabinet doivent être maintenues : Des comptes-rendus de méthode devront être régulièrement effectués et que des échanges soient organisés.
L’avocat détaché reste le collaborateur de son cabinet avant tout.
Il doit pouvoir continuer à se constituer et développer sa clientèle personnelle, indépendamment du fait qu’il ne gère pour le compte du cabinet que les dossiers d’un seul client : celui de l’entreprise dans laquelle il est détaché.
3. Conclusion
Aucune disposition dans le RIN (L. n°71-1130, 31 décembre 1971 ; D. n°2005-790, 12 juillet 2005 ; D. 27 novembre 1991) n’interdit qu’un cabinet puisse mettre à disposition un de ses collaborateurs, qu’il soit libéral ou salarié, au sein d’une entreprise privée ou publique, cliente du cabinet.
Il apparait donc possible, et est largement pratiqué par les grandes structures, à la demande de certains de nos Clients.
Rien n’interdit également à un avocat libéral individuel d’effectuer des missions temporaires au sein d’une entreprise.
Et l’on comprend les raisons d’une telle demande : notre profession est la seule capable de proposer ce service dans l’entreprise sous couvert d’indépendance et de confidentialité.
En revanche, cette opération comporte des risques importants de requalification en contrat de travail, tant avec le cabinet qu’avec l’entreprise, pour les collaborateurs libéraux, et de qualification de prêt de main d’œuvre illicite ou de marchandage pour les avocats salariés ou à la suite d’une requalification.
Pour éviter ces risques, il est primordial de pouvoir formaliser cette pratique dans un cadre juridique.
Ainsi, tout exercice en entreprise par un avocat libéral, collaborateur ou non, devra notamment respecter les règles suivantes :
il est opéré sur la base du volontariat,
il apporte une réelle plus-value en termes de formation et de carrière,
il permet au collaborateur d’exercer effectivement la profession,
un exercice au sein de l’entreprise obligatoirement temporaire, faisant l’objet d’un écrit, validé et sous le contrôle de l’ordre,
une totale liberté dans l’organisation du temps dédié par l’avocat à l’entreprise, sans aucune contrainte de la part de cette dernière,
l’absence de pouvoir disciplinaire de la part de l’entreprise,
le rappel systématique de la qualité d’avocat dans tout échange, aussi bien vis-à-vis du personnel de l’entreprise que des tiers,
une confidentialité assurée : mise à disposition d’un bureau dédié au seul avocat, fermé à clé, aucun raccordement direct au réseau informatique de l’entreprise,
si l’avocat est collaborateur : le maintien des relations avec le cabinet