A Mesdames et Messieurs les Président et Juges composant le Tribunal correctionnel de
IN LIMINE LITIS - CONCLUSIONS AUX FINS DE DE NULLITE
POUR :
Ayant pour avocat Me
CONTRE :
M. le Procureur de la République
PLAISE AU TRIBUNAL
Monsieur X a été placé en garde à vu le … jusqu’au … à … Heures.
Monsieur X est renvoyé devant votre juridiction des chefs de …
In limine litis et avant toute défense au fond, le concluant entend soulever la nullité de la procédure au vu des dispositions des articles 5§3, 6 § 1 et 6 § 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales du 4 novembre 1950.,
I/ SUR L’INTERDICTION FAITE A UNE AUTORITE JUDICIAIRE DE CONTROLER LA GARDE A VUE ET, CUMULATIVEMENT, DE DILIGITER DES POURSUITES
1/ Délimitation du problème juridique soumis au Tribunal
Le problème juridique posé en l’espèce n’est pas celui du défaut d’indépendance du Parquet, bien que la Cour européenne des droits de l’Homme ait jugé dans l’arrêt no 37104/06 MOULIN contre France le 23 novembre 2010 que le Parquet français n’est pas indépendant et ne saurait à ce titre constituer une autorité judiciaire –notion autonome du droit français.
Il n’est pas discutable que dans sa décision du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a considéré que le Parquet français relève de l’autorité judiciaire.
Le problème juridique posé est celui de l’impossibilité pour un magistrat –même relevant de l’autorité judiciaire- de cumuler deux fonctions :
-contrôler la garde à vue
-diligenter des poursuites
2/ Le texte applicable : article 5 § 3de la CEDH
Aux termes de l’article 5§3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales :
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience. »
3/ La jurisprudence de la CEDH
Arrêt SCHISSER C/ SUISSE
Par un arrêt SCHIESSER c. SUISSE, Requête no 7710/76 du 4 décembre 1979, la Cour européenne des droits de l’Homme a précisé les critères requis pour qu’une personne puisse contrôler la garde à vue :
« Le paragraphe 1 c) (art. 5-1-c) formant un tout avec le paragraphe 3 (art. 5-3), "autorité judiciaire compétente" constitue un synonyme abrégé de "juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires" (arrêt Lawless du 1er juillet 1961, série A no 3, p. 52; arrêt Irlande contre Royaume-Uni, du 18 janvier 1978, série A no 25, p. 75, par. 199). »
« Aux yeux de la Cour, l’article 5 (art. 5) veut assurer que nul ne soit arbitrairement dépouillé de sa liberté (arrêt Winterwerp du 24 octobre 1979, série A no 33, p. 16, par. 37). De cette finalité globale découle, dans le domaine du paragraphe 4 (art. 5-4), la nécessité de suivre une procédure de "caractère judiciaire" donnant "des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il s’agit", sans quoi on ne saurait parler de "tribunal" (arrêt De Wilde, Ooms et Versyp, précité, pp. 40-41, par. 76). De son côté, le "magistrat" visé au paragraphe 3 (art. 5-3) doit offrir des garanties appropriées aux fonctions "judiciaires" que la loi lui attribue.
31. En résumé, le "magistrat" ne se confond pas avec le "juge", mais encore faut-il qu’il en possède certaines des qualités, c’est-à-dire remplisse des conditions constituant autant de garanties pour la personne arrêtée.
La première d’entre elles réside dans l’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties (cf., mutatis mutandis, l’arrêt Neumeister précité, p. 44). Elle n’exclut pas toute subordination à d’autres juges ou magistrats pourvu qu’ils jouissent eux-mêmes d’une indépendance analogue.
A cela s’ajoutent, d’après l’article 5 par. 3 (art. 5-3), une exigence de procédure et une de fond. A la charge du "magistrat", la première comporte l’obligation d’entendre personnellement l’individu traduit devant lui (cf., mutatis mutandis, l’arrêt Winterwerp précité, p. 24, par. 60); la seconde, celle d’examiner les circonstances qui militent pour ou contre la détention, de se prononcer selon des critères juridiques sur l’existence de raisons la justifiant et, en leur absence, d’ordonner l’élargissement (arrêt Irlande contre Royaume-Uni, précité, p. 76, par. 199).
En vérifiant le respect de ces diverses conditions, la Cour n’a pas à trancher des questions qui ne se posent pas en l’espèce, par exemple celle de savoir si un magistrat est apte, par sa formation ou son expérience, à s’acquitter de fonctions judiciaires. »
« Quant au premier point (poursuite), la Cour souligne qu’en l’espèce le procureur de district est intervenu exclusivement comme organe d’instruction: en recherchant s’il fallait inculper l’intéressé et le placer en détention provisoire, puis en instruisant le dossier avec l’obligation de s’employer avec un soin égal à établir les faits à la charge et à la décharge de M. Schiesser (article 31 StPO). Il n’a pas assumé la qualité de partie poursuivante: il n’a ni dressé l’acte d’accusation ni occupé le siège du ministère public devant la juridiction de jugement (paragraphe 11 ci-dessus). Il n’a donc pas cumulé des fonctions d’instruction avec des fonctions de poursuite, de sorte que la Cour ne se trouve pas appelée à déterminer si la situation contraire eût cadré avec l’article 5 par. 3 (art. 5-3).
35. Quant au second point (subordination), le Gouvernement souligne que le procureur de district de Winterthour a décidé en pleine indépendance la mise en détention provisoire de M. Schiesser. Il invoque aussi la pratique en vigueur depuis plus de trente ans dans le canton de Zurich: direction de la justice et procureur général n’adressent jamais aux procureurs de district des ordres ou instructions concernant la mise en détention de tel suspect (paragraphe 17 ci-dessus); sans doute peut-il leur arriver de leur donner des directives, mais la chose se produit très rarement et selon la doctrine ces dernières ne doivent porter que sur des questions de légalité, non d’opportunité. Quant au recueil de circulaires de 1968, il aurait pour seul but d’assurer une application uniforme de la loi. »
Arrêt MOULIN c. FRANCE
Par un arrêt MOULIN c. FRANCE du 23 novembre 2010, Requête no 37104/06, la Cour a réaffirmé sa jurisprudence :
« Les caractéristiques et pouvoirs du magistrat:
123. Le paragraphe 1 c) forme un tout avec le paragraphe 3 et l'expression « autorité judiciaire compétente » du paragraphe 1 c) constitue un synonyme abrégé de « juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » du paragraphe 3 (voir, notamment, Lawless c. Irlande, 1er juillet 1978, série A, no 3, et Schiesser, précité, § 29).
124. Le magistrat doit présenter les garanties requises d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu'il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l'instar du ministère public, et il doit avoir le pouvoir d'ordonner l'élargissement, après avoir entendu la personne et contrôlé la légalité et la justification de l'arrestation et de la détention (voir, parmi beaucoup d'autres, Assenov et autres c. Bulgarie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, §§ 146 et 149). Concernant la portée de ce contrôle, la formulation à la base de la jurisprudence constante de la Cour remonte à l'affaire Schiesser précitée (§ 31) :
«... à cela s'ajoutent, d'après l'article 5 § 3, une exigence de procédure et une de fond. A la charge du « magistrat », la première comporte l'obligation d'entendre personnellement l'individu traduit devant lui (voir, mutatis mutandis, Winterwerp précité, § 60) ; la seconde, celle d'examiner les circonstances qui militent pour ou contre la détention, de se prononcer selon des critères juridiques sur l'existence de raisons la justifiant et, en leur absence, d'ordonner l'élargissement (Irlande contre Royaume-Uni, 18 janvier 1978, série A no 25, § 199) », soit, en un mot, que « le magistrat se penche sur le bien-fondé de la détention » (T.W. et Aquilina, précités, respectivement § 41 et § 47) (…)
53. De l'avis de la Cour, il convient donc d'examiner la question de savoir si la requérante aurait néanmoins été « aussitôt » traduite devant un autre « juge ou (...) magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », conformément aux dispositions de l'article 5 § 3 de la Convention.
54. Sur ce point, elle relève que la requérante a été présentée au procureur adjoint du tribunal de grande instance de Toulouse le 15 avril 2005, après la fin de sa garde à vue, en raison de l'existence d'un mandat d'amener délivré par les juges d'instruction d'Orléans. Le procureur adjoint a finalement ordonné sa conduite en maison d'arrêt, en vue de son transfèrement ultérieur devant les juges (paragraphe 14 ci-dessus).
55. Il appartient donc à la Cour d'examiner la question de savoir si le procureur adjoint, membre du ministère public, remplissait les conditions requises pour être qualifié, au sens de l'article 5 § 3 de la Convention et au regard des principes qui se dégagent de sa jurisprudence (paragraphe 46 ci-dessus), en particulier s'agissant des caractéristiques et pouvoirs du magistrat, de « juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ».
56. La Cour constate tout d'abord que si l'ensemble des magistrats de l'ordre judiciaire représente l'autorité judiciaire citée à l'article 66 de la Constitution, il ressort du droit interne que les magistrats du siège sont soumis à un régime différent de celui prévu pour les membres du ministère public. Ces derniers dépendent tous d'un supérieur hiérarchique commun, le garde des sceaux, ministre de la Justice, qui est membre du gouvernement, et donc du pouvoir exécutif. Contrairement aux juges du siège, ils ne sont pas inamovibles en vertu de l'article 64 de la Constitution. Ils sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques au sein du Parquet, et sous l'autorité du garde des sceaux, ministre de la Justice. En vertu de l'article 33 du code de procédure pénale, le ministère public est tenu de prendre des réquisitions écrites conformes aux instructions qui lui sont données dans les conditions prévues aux articles 36, 37 et 44 du même code, même s'il développe librement les observations orales qu'il croit convenables au bien de la justice.
57. La Cour n'ignore pas que le lien de dépendance effective entre le ministre de la Justice et le ministère public fait l'objet d'un débat au plan interne (voir, notamment, paragraphes 25 et 28 ci-dessus). Toutefois, il ne lui appartient pas de prendre position dans ce débat qui relève des autorités nationales : la Cour n'est en effet appelée à se prononcer que sous le seul angle des dispositions de l'article 5 § 3 de la Convention, et des notions autonomes développées par sa jurisprudence au regard desdites dispositions. Dans ce cadre, la Cour considère que, du fait de leur statut ainsi rappelé, les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif, qui, selon une jurisprudence constante, compte, au même titre que l'impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de « magistrat » au sens de l'article 5 § 3 (Schiesser, précité, § 31, et, entre autres, De Jong, Baljet et Van den Brink c. Pays-Bas, 22 mai 1984, § 49, série A no 77, ou plus récemment Pantea c. Roumanie, no 33343/96, § 238, CEDH 2003-VI (extraits)).
58. Par ailleurs, la Cour constate que la loi confie l'exercice de l'action publique au ministère public, ce qui ressort notamment des articles 1er et 31 du code de procédure pénale. Indivisible (paragraphe 26 ci-dessus), le parquet est représenté auprès de chaque juridiction répressive de première instance et d'appel en vertu des articles 32 et 34 du code précité. Or la Cour rappelle que les garanties d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties excluent notamment qu'il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale (voir, en dernier lieu, Medvedyev et autres, précité, § 124 ; paragraphe 46 ci-dessus). Il importe peu qu'en l'espèce le procureur adjoint exerçait ses fonctions dans un ressort territorial différent de celui des deux juges d'instruction, la Cour ayant déjà jugé que le fait pour le procureur d'un district, après avoir prolongé une privation de liberté, d'avoir ensuite transféré le dossier dans un autre parquet, n'emportait pas sa conviction et ne justifiait pas qu'elle s'écarte de sa jurisprudence consacrée par l'arrêt Huber c. Suisse précité (Brincat, précité, § 20).
59. Dès lors, la Cour estime que le procureur adjoint de Toulouse, membre du ministère public, ne remplissait pas, au regard de l'article 5 § 3 de la Convention, les garanties d'indépendance exigées par la jurisprudence pour être qualifié, au sens de cette disposition, de « juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ».
A titre informatif, il convient d’indiquer la position des rapporteurs au Sénat sur le projet de réforme de la garde à vue :
i[« Le projet de loi laisse le contrôle de la garde à vue au procureur de la République. Une telle situation ne paraît pas conforme à l’arrêt de la CEDH, Medvedyev, du 29 mars 2010. En effet, selon l’interprétation donnée par la Cour de l’article 5 paragraphe 3 de la convention, le contrôle juridictionnel des arrestations et détentions doit être assuré par un magistrat bénéficiant d’une indépendance tant vis-à-vis du pouvoir exécutif que des parties. Ni le statut du procureur de la République, ni sa nature de partie poursuivante ne sont conformes à ces deux critères.
Cette position a été confirmée par l’arrêt de chambre rendu dans l’affaire Moulin c. France le 23 novembre 2011. La Cour européenne des droits de l’homme a estimé que, du fait de leur statut, les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif. Or, selon la Cour, l’indépendance compte, au même titre que l’impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion « autonome » de magistrat. En outre, la Cour rappelle que « les garanties d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties excluent notamment que [les magistrats] puisse agir par la suite comme le requérant dans la procédure pénale » ce qui est pourtant le cas du procureur de la République. Dès lors, la Cour considère que le procureur, membre du ministère public « ne remplissait pas au regard de l’article 5 paragraphe 3 de la Convention, les garanties d’indépendance exigées par la jurisprudence pour être qualifié au sens de cette disposition, de « juge » ou (…) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires »]i
En l’espèce, il est incontestable que le Parquet –indivisible et apprécié comme tel par la CEDH- a tout à la fois contrôlé la garde à vue et diligenté les poursuites conformément aux articles 41, 63 et suivants du Code de procédure pénale.
Il s’ensuite que tant la convocation d’avoir à comparaitre délivrée au prévenu que l’ensemble des actes accomplis en garde à vue sont entachés de nullité.
II/ SUR LE NON RESPECT DES PREROGATIVES DE L’AVOCAT EN GARDE A VUE ET LE DROIT DE GARDER LE SILENCE
1/ Sur la consécration par la Cour Européenne des Droits de l’Homme du Droit à l’assistance d’un avocat durant la garde à vue
L’article 6§1 de la Convention scelle le droit à un procès équitable :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audiences peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »
L’article 6§3 énonce :
« Tout accusé a droit notamment à :
a. Etre informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation protée contre lui ;
b. Disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c. Se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ».
La Cour Européenne des Droits de l’Homme a régulièrement jugé que l’impossibilité pour une personne placée en garde à vue de se faire assister par un avocat, notamment lors de ses auditions, violait le droit au procès équitable.
Arrêt SALDUZ c/ TURQUIE
La Cour Européenne des droits de l’homme siégeant en une grande chambre a, aux termes de l’arrêt SALDUZ c/ TURQUIE rendu le 27 novembre 2008 condamné l’Etat Turc en ces termes :
« 50. La Cour rappelle que si l’article 6 a pour finalité principale, au pénal, d’assurer un procès équitable devant un « tribunal » compétent pour décider du « bien fondé de l’accusation », il n’en résulte pas qu’il se désintéresse des phases qui se déroulent avant la procédure de jugement. Ainsi, l’article 6 –spécialement son paragraphe 3– peut jouer un rôle avant la saisine du juge au fond si, et dans la mesure où, son inobservation initiale risque de compromettre gravement l’équité du procès (…).
51. La Cour réaffirme par ailleurs que, quoique non absolu, le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable (…).
52. Une législation nationale peut attacher à l’attitude d’un prévenu à la phase initiale des interrogatoires de police des conséquences déterminantes pour les perspectives de la défense lors de toute procédure pénale ultérieure. En pareil cas, l’article 6 exige normalement que le prévenu puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police. Ce droit, que la Convention n’énonce pas expressément, peut toutefois être soumis à des restrictions pour des raisons valables. Il s’agit donc, dans chaque cas, de savoir si la restriction litigieuse est justifiée et, dans l’affirmative, si, considérée à la lumière de la procédure dans son ensemble, elle a ou non privé l’accusé d’un procès équitable, car même une restriction justifiée peut avoir pareil effet dans certaines circonstances (…).
54. La Cour souligne l’importance du stade de l’enquête pour la préparation du procès, dans la mesure où les preuves obtenues durant cette phase déterminent le cadre dans lequel l’infraction imputée sera examinée au procès. Parallèlement, un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable (…). Dans la plupart des cas cette vulnérabilité particulière ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat (…).
Un prompt accès à un avocat fait partie des garanties procédurales auxquelles la Cour prête une attention particulière lorsqu’elle examine la question de savoir si une procédure a ou non anéanti la substance même du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination (…).
55. Dans ces conditions, la Cour estime que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6§1 demeure suffisamment « concret et effectif » (paragraphe 51 ci-dessus), il faut, en règle générale que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière de circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. (…) Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation.
56. (…) Pour justifier le refus au requérant de l’accès à un avocat, le gouvernement s’est borné à dire qu’il s’agissait de l’application sur une base systématique des dispositions légales pertinentes. En soi, cela suffit déjà à faire conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 à cet égard, telles qu’elles ont été décrites au paragraphe 52 ci-dessus (…).
58. (…) Ni assistance fournie ultérieurement par un avocat ni la nature contradictoire de la suite de la procédure n’ont pu porter remède aux défauts survenus pendant la garde à vue. (…)
62. En résumé, même si le requérant a eu l’occasion de contester les preuves à charge à son procès en première instance puis en appel, l’impossibilité pour lui de se faire assister par un avocat alors qu’il se trouvait en garde à vue a irrémédiablement nui à ses droits de la défense.
(…)
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,
Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 3 c) de la Convention combiné avec l’article 6 § 1 à raison du fait que le requérant n’a pas pu se faire assister d’un avocat pendant sa garde à vue. »
Arrêt DAYANAN c/ TURQUIE
Le 13 octobre 2009 la Cour européenne des droits de l’homme confirmait cette décision (DAYANAN c/ TURQUIE, requête n° 7377/03) :
« 30. En ce qui concerne l’absence d’avocat lors de la garde à vue, la Cour rappelle que le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable
(…)
31. Elle estime que l’équité d’une procédure pénale requiert d’une manière générale, aux fins de l’article 6 de la Convention, que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire.
(…)
33. En l’espèce, nul ne conteste que le requérant n’a pas bénéficié de l’assistance d’un Conseil lors de sa garde à vue parce que la loi en vigueur à l’époque pertinente y faisait obstacle. En soi une telle restriction systématique sur la base de dispositions légales pertinentes, suffit à conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 de la Convention, nonobstant le fait que le requérant a gardé le silence au cours de la garde à vue.
34. Partant, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 3c de la Convention combinée avec l’article 6 § 1. »
Arrêt BRUSCO c/ FRANCE
i[« Dans un arrêt en date du 14 octobre 2010, la CEDH (Brusco c/France) a condamné la France pour violation des règles du procès équitable prévues par l’article 6 de la Communauté Européenne des Droits de l’Homme :
44. La Cour rappelle que le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable. Ils ont notamment pour finalité de protéger l’accusé contre une coercition abusive de la part des autorités et, ainsi, d’éviter les erreurs judiciaires et d’atteindre les buts de l’article 6 de la Convention (voir, notamment, Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 92, 10 mars 2009, et John Murray, précité, § 45). Le droit de ne pas s’incriminer soi-même concerne le respect de la détermination d’un accusé à garder le silence et présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou des pressions, au mépris de la volonté de l’accusé (voir, notamment, Saunders c. Royaume-Uni, 17 décembre 1996, §§ 68-69, Recueil 1996-VI, Allan c. Royaume-Uni, no 48539/99, § 44, CEDH 2002-IX, Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, §§ 94-117, CEDH 2006-IX, et O’Halloran et Francis c. Royaume-Uni [GC] nos 15809/02 et 25624/02, §§ 53-63, CEDH 2007-VIII).
45. La Cour rappelle également que la personne placée en garde à vue a le droit d’être assistée d’un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires, et ce a fortiori lorsqu’elle n’a pas été informée par les autorités de son droit de se taire (voir les principes dégagés notamment dans les affaires Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, §§ 50-62, 27 novembre 2008, Dayanan c. Turquie, no 7377/03, §§ 30-34, 13 octobre 2009, Boz c. Turquie, no 2039/04, §§ 33-36, 9 février 2010, et Adamkiewicz c. Pologne, no 54729/00 §§ 82-92, 2 mars 2010).
46. En l’espèce, la Cour relève que lorsque le requérant a dû prêter serment « de dire toute la vérité, rien que la vérité », comme l’exige l’article 153 du code de procédure pénale, avant de déposer devant l’officier de police judiciaire, il était placé en garde à vue. Cette mesure s’inscrivait dans le cadre d’une information judiciaire ouverte par le juge d’instruction, les services de police ayant interpellé le requérant suite à une commission rogatoire délivrée le 3 juin 1999 par ce magistrat, qui les autorisait notamment à procéder à toutes les auditions et perquisitions utiles à la manifestation de la vérité concernant les faits de tentative d’assassinat commis sur la personne de B.M. le 17 décembre 1998. Ce placement en garde à vue était règlementé par l’article 154 du code de procédure pénale et n’était pas subordonné, à l’époque des faits, à l’existence d’ « indices graves et concordants » démontrant la commission d’une infraction par l’intéressé ou de « raisons plausibles » de le soupçonner de tels faits. La Cour note également que le requérant n’était pas nommément visé par la commission rogatoire du 3 juin 1999, ni par le réquisitoire introductif du 30 décembre 1998.
47. La Cour constate cependant que l’interpellation et la garde à vue du requérant s’inscrivaient dans le cadre d’une information judiciaire ouverte par le juge d’instruction contre E.L et J.P.G., tous deux soupçonnés d’avoir été impliqués dans l’agression de B.M. Or, d’une part, lors de sa garde à vue du 2 juin 1999, J.P.G. avait expressément mis en cause le requérant comme étant le commanditaire de l’opération projetée et, d’autre part, la victime avait déposé plainte contre son épouse et le requérant, et ce dernier avait déjà été entendu à ce sujet par les services de police le 28 décembre 1998. Dans ces circonstances, la Cour considère que, dès son interpellation et son placement en garde à vue, les autorités avaient des raisons plausibles de soupçonner que le requérant était impliqué dans la commission de l’infraction qui faisait l’objet de l’enquête ouverte par le juge d’instruction. L’argument selon lequel le requérant n’a été entendu que comme témoin est inopérant, comme étant purement formel, dès lors que les autorités judiciaires et policières disposaient d’éléments de nature à le suspecter d’avoir participé à l’infraction.
48. Par ailleurs, la Cour note que, depuis l’adoption de la loi du 15 juin 2000, lorsqu’il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’il a commis ou tenté de commettre une infraction, tout témoin – cité pour être entendu au cours de l’exécution d’une commission rogatoire – ne peut être retenu que le temps strictement nécessaire à son audition.
49. Enfin, selon la Cour, l’interpellation et le placement en garde à vue du requérant pouvaient avoir des répercussions importantes sur sa situation (voir, parmi d’autres, Deweer, précité, § 46, et Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, § 73, série A no 51). D’ailleurs, c’est précisément à la suite de la garde à vue décidée en raison d’éléments de l’enquête le désignant comme suspect, qu’il a été mis en examen et placé en détention provisoire.
50. Dans ces circonstances, la Cour estime que lorsque le requérant a été placé en garde à vue et a dû prêter serment « de dire toute la vérité, rien que la vérité », celui-ci faisait l’objet d’une « accusation en matière pénale » et bénéficiait du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence garanti par l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.
51. La Cour relève ensuite que, lors de sa première déposition le 8 juin 1999, le requérant a fourni certains éléments de preuve pouvant démontrer son implication dans l’agression de B.M : il a en effet livré des détails sur ses conversations avec l’un des individus mis en examen, J.P.G., sur leur entente « pour faire peur » à B.M. et sur la remise d’une somme d’argent de 100 000 francs français. La Cour note également que ces déclarations ont été ensuite utilisées par les juridictions pénales pour établir les faits et condamner le requérant.
52. La Cour estime que le fait d’avoir dû prêter serment avant de déposer a constitué pour le requérant – qui faisait déjà depuis la veille l’objet d’une mesure coercitive, la garde à vue – une forme de pression, et que le risque de poursuites pénales en cas de témoignage mensonger a assurément rendu la prestation de serment plus contraignante.
53. Elle note par ailleurs qu’en 2004, le législateur est intervenu pour revenir sur l’interprétation faite par la Cour de cassation de la combinaison des articles 105, 153 et 154 du code de procédure pénale et préciser que l’obligation de prêter serment et de déposer n’est pas applicable aux personnes gardées à vue sur commission rogatoire d’un juge d’instruction (paragraphe 29 ci-dessus).
54. La Cour constate également qu’il ne ressort ni du dossier ni des procès-verbaux des dépositions que le requérant ait été informé au début de son interrogatoire du droit de se taire, de ne pas répondre aux questions posées, ou encore de ne répondre qu’aux questions qu’il souhaitait. Elle relève en outre que le requérant n’a pu être assisté d’un avocat que vingt heures après le début de la garde à vue, délai prévu à l’article 63-4 du code de procédure pénale (paragraphe 28 ci-dessus). L’avocat n’a donc été en mesure ni de l’informer sur son droit à garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer avant son premier interrogatoire ni de l’assister lors de cette déposition et lors de celles qui suivirent, comme l’exige l’article 6 de la Convention.
55. Il s’ensuit que l’exception soulevée par le Gouvernement doit être rejetée et qu’il y a eu, en l’espèce, atteinte au droit du requérant de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence, tel que garanti par l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention. »]i
En l’espèce, il est incontestable que le prévenu ne s’est pas vu notifier le droit de se taire et n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat conformément aux exigences de la Cour européenne des droits de l’Homme.
2/ Sur l’application dans le temps de la jurisprudence de la CEDH
2-1 La position de la Cour de cassation
La Cour de cassation dans trois arrêts du 19 octobre 2010 a considéré que :
« Attendu que, pour rejeter la requête aux fins d'annulation d'actes de la procédure de M. X..., l'arrêt se borne à relever l'absence, dans la Convention européenne des droits de l'homme, de mention expresse portant obligation d'une assistance concrète et effective par un avocat de la personne gardée à vue dès la première heure de cette mesure et de notification d'un droit de se taire, et le défaut de condamnation expresse de la France par la Cour européenne des droits de l'homme pour ce motif ; que les juges ajoutent qu'en l'état de la jurisprudence de cette Cour, la disposition du droit français prévoyant une intervention différée de l'avocat lorsque le gardé à vue est mis en cause pour des infractions d'une certaine gravité, tels les crimes et délits de trafic de stupéfiants, n'est pas contraire à l'article 6 § 3 de la Convention susvisée ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le texte conventionnel susvisé, d'où il résulte que, sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'espèce, et non à la seule nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l'assistance d'un avocat ; »
Que toutefois, la Cour de cassation a cru pouvoir fixer la date d’application de la jurisprudence de la CEDH au 1 er juillet 2011 par référence à la décision du Conseil constitutionnel dont la nature du contrôle était différent du sien.]i
2-2 La jurisprudence de la CEDH s’applique immédiatement
Il ne relève de l’office de la Cour de cassation que d’interpréter les lois et de faire application des traités.
Dans la hiérarchie des normes, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme a la valeur d’un traité.
Or, il échet de constater que la condamnation prononcée à l’encontre de la France dans l’arrêt BRUSCO du 9 octobre 2010 n’a pas donné lieu à report dans le temps de son application et ce, alors même que la garde à vue était intervenue en 1999.
Dès lors, il n’est pas contestable que la jurisprudence de la CEDH trouve à s’appliquer immédiatement.
Il en a ainsi été jugé par plusieurs juridictions, dont, notamment :
- Le Tribunal correctionnel de LILE le 25 octobre 2010
- Le Tribunal correctionnel de NANCY le 3 novembre 2010
- Le Tribunal correctionnel de Colmar le 18 novembre 2010 :
Par conséquent, l’annulation de l’audition du prévenu ainsi que de l’ensemble des actes subséquents s’impose.
PAR CES MOTIFS
Vu la décision du Conseil Constitutionnel DC n°2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010;
Vu les arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 19 octobre 2010 (10-82.306 ; 10-82.902 ; 1085.051)
Vu la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme
Vu les articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu les articles 62, 63, 63-1, 63-4, alinéas 1 à 6, et 77 du Code de procédure pénale.
CONSTATER que le Parquet a cumulativement contrôlé la garde à vue et diligenté des poursuites à l’encontre du prévenu,
CONSTATER que M. a été placé en garde à vue sur le fondement de textes inconstitutionnels ;
CONSTATER que M. n’a pas reçu notification du droit de se taire,
CONSTATER que M. n’a pas bénéficié de l’assistance effective d’un avocat en garde à vue
PRONONCER la nullité de l’ensemble des procès-verbaux établis dans le cadre de la garde à vue de M. ainsi que de la convocation d’avoir à comparaitre devant le Tribunal correctionnel,
SOUS TOUTES RESERVES
IN LIMINE LITIS - CONCLUSIONS AUX FINS DE DE NULLITE
POUR :
Ayant pour avocat Me
CONTRE :
M. le Procureur de la République
PLAISE AU TRIBUNAL
Monsieur X a été placé en garde à vu le … jusqu’au … à … Heures.
Monsieur X est renvoyé devant votre juridiction des chefs de …
In limine litis et avant toute défense au fond, le concluant entend soulever la nullité de la procédure au vu des dispositions des articles 5§3, 6 § 1 et 6 § 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales du 4 novembre 1950.,
I/ SUR L’INTERDICTION FAITE A UNE AUTORITE JUDICIAIRE DE CONTROLER LA GARDE A VUE ET, CUMULATIVEMENT, DE DILIGITER DES POURSUITES
1/ Délimitation du problème juridique soumis au Tribunal
Le problème juridique posé en l’espèce n’est pas celui du défaut d’indépendance du Parquet, bien que la Cour européenne des droits de l’Homme ait jugé dans l’arrêt no 37104/06 MOULIN contre France le 23 novembre 2010 que le Parquet français n’est pas indépendant et ne saurait à ce titre constituer une autorité judiciaire –notion autonome du droit français.
Il n’est pas discutable que dans sa décision du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a considéré que le Parquet français relève de l’autorité judiciaire.
Le problème juridique posé est celui de l’impossibilité pour un magistrat –même relevant de l’autorité judiciaire- de cumuler deux fonctions :
-contrôler la garde à vue
-diligenter des poursuites
2/ Le texte applicable : article 5 § 3de la CEDH
Aux termes de l’article 5§3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales :
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience. »
3/ La jurisprudence de la CEDH
Arrêt SCHISSER C/ SUISSE
Par un arrêt SCHIESSER c. SUISSE, Requête no 7710/76 du 4 décembre 1979, la Cour européenne des droits de l’Homme a précisé les critères requis pour qu’une personne puisse contrôler la garde à vue :
« Le paragraphe 1 c) (art. 5-1-c) formant un tout avec le paragraphe 3 (art. 5-3), "autorité judiciaire compétente" constitue un synonyme abrégé de "juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires" (arrêt Lawless du 1er juillet 1961, série A no 3, p. 52; arrêt Irlande contre Royaume-Uni, du 18 janvier 1978, série A no 25, p. 75, par. 199). »
« Aux yeux de la Cour, l’article 5 (art. 5) veut assurer que nul ne soit arbitrairement dépouillé de sa liberté (arrêt Winterwerp du 24 octobre 1979, série A no 33, p. 16, par. 37). De cette finalité globale découle, dans le domaine du paragraphe 4 (art. 5-4), la nécessité de suivre une procédure de "caractère judiciaire" donnant "des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il s’agit", sans quoi on ne saurait parler de "tribunal" (arrêt De Wilde, Ooms et Versyp, précité, pp. 40-41, par. 76). De son côté, le "magistrat" visé au paragraphe 3 (art. 5-3) doit offrir des garanties appropriées aux fonctions "judiciaires" que la loi lui attribue.
31. En résumé, le "magistrat" ne se confond pas avec le "juge", mais encore faut-il qu’il en possède certaines des qualités, c’est-à-dire remplisse des conditions constituant autant de garanties pour la personne arrêtée.
La première d’entre elles réside dans l’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties (cf., mutatis mutandis, l’arrêt Neumeister précité, p. 44). Elle n’exclut pas toute subordination à d’autres juges ou magistrats pourvu qu’ils jouissent eux-mêmes d’une indépendance analogue.
A cela s’ajoutent, d’après l’article 5 par. 3 (art. 5-3), une exigence de procédure et une de fond. A la charge du "magistrat", la première comporte l’obligation d’entendre personnellement l’individu traduit devant lui (cf., mutatis mutandis, l’arrêt Winterwerp précité, p. 24, par. 60); la seconde, celle d’examiner les circonstances qui militent pour ou contre la détention, de se prononcer selon des critères juridiques sur l’existence de raisons la justifiant et, en leur absence, d’ordonner l’élargissement (arrêt Irlande contre Royaume-Uni, précité, p. 76, par. 199).
En vérifiant le respect de ces diverses conditions, la Cour n’a pas à trancher des questions qui ne se posent pas en l’espèce, par exemple celle de savoir si un magistrat est apte, par sa formation ou son expérience, à s’acquitter de fonctions judiciaires. »
« Quant au premier point (poursuite), la Cour souligne qu’en l’espèce le procureur de district est intervenu exclusivement comme organe d’instruction: en recherchant s’il fallait inculper l’intéressé et le placer en détention provisoire, puis en instruisant le dossier avec l’obligation de s’employer avec un soin égal à établir les faits à la charge et à la décharge de M. Schiesser (article 31 StPO). Il n’a pas assumé la qualité de partie poursuivante: il n’a ni dressé l’acte d’accusation ni occupé le siège du ministère public devant la juridiction de jugement (paragraphe 11 ci-dessus). Il n’a donc pas cumulé des fonctions d’instruction avec des fonctions de poursuite, de sorte que la Cour ne se trouve pas appelée à déterminer si la situation contraire eût cadré avec l’article 5 par. 3 (art. 5-3).
35. Quant au second point (subordination), le Gouvernement souligne que le procureur de district de Winterthour a décidé en pleine indépendance la mise en détention provisoire de M. Schiesser. Il invoque aussi la pratique en vigueur depuis plus de trente ans dans le canton de Zurich: direction de la justice et procureur général n’adressent jamais aux procureurs de district des ordres ou instructions concernant la mise en détention de tel suspect (paragraphe 17 ci-dessus); sans doute peut-il leur arriver de leur donner des directives, mais la chose se produit très rarement et selon la doctrine ces dernières ne doivent porter que sur des questions de légalité, non d’opportunité. Quant au recueil de circulaires de 1968, il aurait pour seul but d’assurer une application uniforme de la loi. »
Arrêt MOULIN c. FRANCE
Par un arrêt MOULIN c. FRANCE du 23 novembre 2010, Requête no 37104/06, la Cour a réaffirmé sa jurisprudence :
« Les caractéristiques et pouvoirs du magistrat:
123. Le paragraphe 1 c) forme un tout avec le paragraphe 3 et l'expression « autorité judiciaire compétente » du paragraphe 1 c) constitue un synonyme abrégé de « juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » du paragraphe 3 (voir, notamment, Lawless c. Irlande, 1er juillet 1978, série A, no 3, et Schiesser, précité, § 29).
124. Le magistrat doit présenter les garanties requises d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu'il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l'instar du ministère public, et il doit avoir le pouvoir d'ordonner l'élargissement, après avoir entendu la personne et contrôlé la légalité et la justification de l'arrestation et de la détention (voir, parmi beaucoup d'autres, Assenov et autres c. Bulgarie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, §§ 146 et 149). Concernant la portée de ce contrôle, la formulation à la base de la jurisprudence constante de la Cour remonte à l'affaire Schiesser précitée (§ 31) :
«... à cela s'ajoutent, d'après l'article 5 § 3, une exigence de procédure et une de fond. A la charge du « magistrat », la première comporte l'obligation d'entendre personnellement l'individu traduit devant lui (voir, mutatis mutandis, Winterwerp précité, § 60) ; la seconde, celle d'examiner les circonstances qui militent pour ou contre la détention, de se prononcer selon des critères juridiques sur l'existence de raisons la justifiant et, en leur absence, d'ordonner l'élargissement (Irlande contre Royaume-Uni, 18 janvier 1978, série A no 25, § 199) », soit, en un mot, que « le magistrat se penche sur le bien-fondé de la détention » (T.W. et Aquilina, précités, respectivement § 41 et § 47) (…)
53. De l'avis de la Cour, il convient donc d'examiner la question de savoir si la requérante aurait néanmoins été « aussitôt » traduite devant un autre « juge ou (...) magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », conformément aux dispositions de l'article 5 § 3 de la Convention.
54. Sur ce point, elle relève que la requérante a été présentée au procureur adjoint du tribunal de grande instance de Toulouse le 15 avril 2005, après la fin de sa garde à vue, en raison de l'existence d'un mandat d'amener délivré par les juges d'instruction d'Orléans. Le procureur adjoint a finalement ordonné sa conduite en maison d'arrêt, en vue de son transfèrement ultérieur devant les juges (paragraphe 14 ci-dessus).
55. Il appartient donc à la Cour d'examiner la question de savoir si le procureur adjoint, membre du ministère public, remplissait les conditions requises pour être qualifié, au sens de l'article 5 § 3 de la Convention et au regard des principes qui se dégagent de sa jurisprudence (paragraphe 46 ci-dessus), en particulier s'agissant des caractéristiques et pouvoirs du magistrat, de « juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ».
56. La Cour constate tout d'abord que si l'ensemble des magistrats de l'ordre judiciaire représente l'autorité judiciaire citée à l'article 66 de la Constitution, il ressort du droit interne que les magistrats du siège sont soumis à un régime différent de celui prévu pour les membres du ministère public. Ces derniers dépendent tous d'un supérieur hiérarchique commun, le garde des sceaux, ministre de la Justice, qui est membre du gouvernement, et donc du pouvoir exécutif. Contrairement aux juges du siège, ils ne sont pas inamovibles en vertu de l'article 64 de la Constitution. Ils sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques au sein du Parquet, et sous l'autorité du garde des sceaux, ministre de la Justice. En vertu de l'article 33 du code de procédure pénale, le ministère public est tenu de prendre des réquisitions écrites conformes aux instructions qui lui sont données dans les conditions prévues aux articles 36, 37 et 44 du même code, même s'il développe librement les observations orales qu'il croit convenables au bien de la justice.
57. La Cour n'ignore pas que le lien de dépendance effective entre le ministre de la Justice et le ministère public fait l'objet d'un débat au plan interne (voir, notamment, paragraphes 25 et 28 ci-dessus). Toutefois, il ne lui appartient pas de prendre position dans ce débat qui relève des autorités nationales : la Cour n'est en effet appelée à se prononcer que sous le seul angle des dispositions de l'article 5 § 3 de la Convention, et des notions autonomes développées par sa jurisprudence au regard desdites dispositions. Dans ce cadre, la Cour considère que, du fait de leur statut ainsi rappelé, les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif, qui, selon une jurisprudence constante, compte, au même titre que l'impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de « magistrat » au sens de l'article 5 § 3 (Schiesser, précité, § 31, et, entre autres, De Jong, Baljet et Van den Brink c. Pays-Bas, 22 mai 1984, § 49, série A no 77, ou plus récemment Pantea c. Roumanie, no 33343/96, § 238, CEDH 2003-VI (extraits)).
58. Par ailleurs, la Cour constate que la loi confie l'exercice de l'action publique au ministère public, ce qui ressort notamment des articles 1er et 31 du code de procédure pénale. Indivisible (paragraphe 26 ci-dessus), le parquet est représenté auprès de chaque juridiction répressive de première instance et d'appel en vertu des articles 32 et 34 du code précité. Or la Cour rappelle que les garanties d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties excluent notamment qu'il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale (voir, en dernier lieu, Medvedyev et autres, précité, § 124 ; paragraphe 46 ci-dessus). Il importe peu qu'en l'espèce le procureur adjoint exerçait ses fonctions dans un ressort territorial différent de celui des deux juges d'instruction, la Cour ayant déjà jugé que le fait pour le procureur d'un district, après avoir prolongé une privation de liberté, d'avoir ensuite transféré le dossier dans un autre parquet, n'emportait pas sa conviction et ne justifiait pas qu'elle s'écarte de sa jurisprudence consacrée par l'arrêt Huber c. Suisse précité (Brincat, précité, § 20).
59. Dès lors, la Cour estime que le procureur adjoint de Toulouse, membre du ministère public, ne remplissait pas, au regard de l'article 5 § 3 de la Convention, les garanties d'indépendance exigées par la jurisprudence pour être qualifié, au sens de cette disposition, de « juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ».
A titre informatif, il convient d’indiquer la position des rapporteurs au Sénat sur le projet de réforme de la garde à vue :
i[« Le projet de loi laisse le contrôle de la garde à vue au procureur de la République. Une telle situation ne paraît pas conforme à l’arrêt de la CEDH, Medvedyev, du 29 mars 2010. En effet, selon l’interprétation donnée par la Cour de l’article 5 paragraphe 3 de la convention, le contrôle juridictionnel des arrestations et détentions doit être assuré par un magistrat bénéficiant d’une indépendance tant vis-à-vis du pouvoir exécutif que des parties. Ni le statut du procureur de la République, ni sa nature de partie poursuivante ne sont conformes à ces deux critères.
Cette position a été confirmée par l’arrêt de chambre rendu dans l’affaire Moulin c. France le 23 novembre 2011. La Cour européenne des droits de l’homme a estimé que, du fait de leur statut, les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif. Or, selon la Cour, l’indépendance compte, au même titre que l’impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion « autonome » de magistrat. En outre, la Cour rappelle que « les garanties d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties excluent notamment que [les magistrats] puisse agir par la suite comme le requérant dans la procédure pénale » ce qui est pourtant le cas du procureur de la République. Dès lors, la Cour considère que le procureur, membre du ministère public « ne remplissait pas au regard de l’article 5 paragraphe 3 de la Convention, les garanties d’indépendance exigées par la jurisprudence pour être qualifié au sens de cette disposition, de « juge » ou (…) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires »]i
En l’espèce, il est incontestable que le Parquet –indivisible et apprécié comme tel par la CEDH- a tout à la fois contrôlé la garde à vue et diligenté les poursuites conformément aux articles 41, 63 et suivants du Code de procédure pénale.
Il s’ensuite que tant la convocation d’avoir à comparaitre délivrée au prévenu que l’ensemble des actes accomplis en garde à vue sont entachés de nullité.
II/ SUR LE NON RESPECT DES PREROGATIVES DE L’AVOCAT EN GARDE A VUE ET LE DROIT DE GARDER LE SILENCE
1/ Sur la consécration par la Cour Européenne des Droits de l’Homme du Droit à l’assistance d’un avocat durant la garde à vue
L’article 6§1 de la Convention scelle le droit à un procès équitable :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audiences peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »
L’article 6§3 énonce :
« Tout accusé a droit notamment à :
a. Etre informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation protée contre lui ;
b. Disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c. Se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ».
La Cour Européenne des Droits de l’Homme a régulièrement jugé que l’impossibilité pour une personne placée en garde à vue de se faire assister par un avocat, notamment lors de ses auditions, violait le droit au procès équitable.
Arrêt SALDUZ c/ TURQUIE
La Cour Européenne des droits de l’homme siégeant en une grande chambre a, aux termes de l’arrêt SALDUZ c/ TURQUIE rendu le 27 novembre 2008 condamné l’Etat Turc en ces termes :
« 50. La Cour rappelle que si l’article 6 a pour finalité principale, au pénal, d’assurer un procès équitable devant un « tribunal » compétent pour décider du « bien fondé de l’accusation », il n’en résulte pas qu’il se désintéresse des phases qui se déroulent avant la procédure de jugement. Ainsi, l’article 6 –spécialement son paragraphe 3– peut jouer un rôle avant la saisine du juge au fond si, et dans la mesure où, son inobservation initiale risque de compromettre gravement l’équité du procès (…).
51. La Cour réaffirme par ailleurs que, quoique non absolu, le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable (…).
52. Une législation nationale peut attacher à l’attitude d’un prévenu à la phase initiale des interrogatoires de police des conséquences déterminantes pour les perspectives de la défense lors de toute procédure pénale ultérieure. En pareil cas, l’article 6 exige normalement que le prévenu puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police. Ce droit, que la Convention n’énonce pas expressément, peut toutefois être soumis à des restrictions pour des raisons valables. Il s’agit donc, dans chaque cas, de savoir si la restriction litigieuse est justifiée et, dans l’affirmative, si, considérée à la lumière de la procédure dans son ensemble, elle a ou non privé l’accusé d’un procès équitable, car même une restriction justifiée peut avoir pareil effet dans certaines circonstances (…).
54. La Cour souligne l’importance du stade de l’enquête pour la préparation du procès, dans la mesure où les preuves obtenues durant cette phase déterminent le cadre dans lequel l’infraction imputée sera examinée au procès. Parallèlement, un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable (…). Dans la plupart des cas cette vulnérabilité particulière ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat (…).
Un prompt accès à un avocat fait partie des garanties procédurales auxquelles la Cour prête une attention particulière lorsqu’elle examine la question de savoir si une procédure a ou non anéanti la substance même du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination (…).
55. Dans ces conditions, la Cour estime que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6§1 demeure suffisamment « concret et effectif » (paragraphe 51 ci-dessus), il faut, en règle générale que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière de circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. (…) Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation.
56. (…) Pour justifier le refus au requérant de l’accès à un avocat, le gouvernement s’est borné à dire qu’il s’agissait de l’application sur une base systématique des dispositions légales pertinentes. En soi, cela suffit déjà à faire conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 à cet égard, telles qu’elles ont été décrites au paragraphe 52 ci-dessus (…).
58. (…) Ni assistance fournie ultérieurement par un avocat ni la nature contradictoire de la suite de la procédure n’ont pu porter remède aux défauts survenus pendant la garde à vue. (…)
62. En résumé, même si le requérant a eu l’occasion de contester les preuves à charge à son procès en première instance puis en appel, l’impossibilité pour lui de se faire assister par un avocat alors qu’il se trouvait en garde à vue a irrémédiablement nui à ses droits de la défense.
(…)
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,
Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 3 c) de la Convention combiné avec l’article 6 § 1 à raison du fait que le requérant n’a pas pu se faire assister d’un avocat pendant sa garde à vue. »
Arrêt DAYANAN c/ TURQUIE
Le 13 octobre 2009 la Cour européenne des droits de l’homme confirmait cette décision (DAYANAN c/ TURQUIE, requête n° 7377/03) :
« 30. En ce qui concerne l’absence d’avocat lors de la garde à vue, la Cour rappelle que le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable
(…)
31. Elle estime que l’équité d’une procédure pénale requiert d’une manière générale, aux fins de l’article 6 de la Convention, que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire.
(…)
33. En l’espèce, nul ne conteste que le requérant n’a pas bénéficié de l’assistance d’un Conseil lors de sa garde à vue parce que la loi en vigueur à l’époque pertinente y faisait obstacle. En soi une telle restriction systématique sur la base de dispositions légales pertinentes, suffit à conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 de la Convention, nonobstant le fait que le requérant a gardé le silence au cours de la garde à vue.
34. Partant, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 3c de la Convention combinée avec l’article 6 § 1. »
Arrêt BRUSCO c/ FRANCE
i[« Dans un arrêt en date du 14 octobre 2010, la CEDH (Brusco c/France) a condamné la France pour violation des règles du procès équitable prévues par l’article 6 de la Communauté Européenne des Droits de l’Homme :
44. La Cour rappelle que le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable. Ils ont notamment pour finalité de protéger l’accusé contre une coercition abusive de la part des autorités et, ainsi, d’éviter les erreurs judiciaires et d’atteindre les buts de l’article 6 de la Convention (voir, notamment, Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 92, 10 mars 2009, et John Murray, précité, § 45). Le droit de ne pas s’incriminer soi-même concerne le respect de la détermination d’un accusé à garder le silence et présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou des pressions, au mépris de la volonté de l’accusé (voir, notamment, Saunders c. Royaume-Uni, 17 décembre 1996, §§ 68-69, Recueil 1996-VI, Allan c. Royaume-Uni, no 48539/99, § 44, CEDH 2002-IX, Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, §§ 94-117, CEDH 2006-IX, et O’Halloran et Francis c. Royaume-Uni [GC] nos 15809/02 et 25624/02, §§ 53-63, CEDH 2007-VIII).
45. La Cour rappelle également que la personne placée en garde à vue a le droit d’être assistée d’un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires, et ce a fortiori lorsqu’elle n’a pas été informée par les autorités de son droit de se taire (voir les principes dégagés notamment dans les affaires Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, §§ 50-62, 27 novembre 2008, Dayanan c. Turquie, no 7377/03, §§ 30-34, 13 octobre 2009, Boz c. Turquie, no 2039/04, §§ 33-36, 9 février 2010, et Adamkiewicz c. Pologne, no 54729/00 §§ 82-92, 2 mars 2010).
46. En l’espèce, la Cour relève que lorsque le requérant a dû prêter serment « de dire toute la vérité, rien que la vérité », comme l’exige l’article 153 du code de procédure pénale, avant de déposer devant l’officier de police judiciaire, il était placé en garde à vue. Cette mesure s’inscrivait dans le cadre d’une information judiciaire ouverte par le juge d’instruction, les services de police ayant interpellé le requérant suite à une commission rogatoire délivrée le 3 juin 1999 par ce magistrat, qui les autorisait notamment à procéder à toutes les auditions et perquisitions utiles à la manifestation de la vérité concernant les faits de tentative d’assassinat commis sur la personne de B.M. le 17 décembre 1998. Ce placement en garde à vue était règlementé par l’article 154 du code de procédure pénale et n’était pas subordonné, à l’époque des faits, à l’existence d’ « indices graves et concordants » démontrant la commission d’une infraction par l’intéressé ou de « raisons plausibles » de le soupçonner de tels faits. La Cour note également que le requérant n’était pas nommément visé par la commission rogatoire du 3 juin 1999, ni par le réquisitoire introductif du 30 décembre 1998.
47. La Cour constate cependant que l’interpellation et la garde à vue du requérant s’inscrivaient dans le cadre d’une information judiciaire ouverte par le juge d’instruction contre E.L et J.P.G., tous deux soupçonnés d’avoir été impliqués dans l’agression de B.M. Or, d’une part, lors de sa garde à vue du 2 juin 1999, J.P.G. avait expressément mis en cause le requérant comme étant le commanditaire de l’opération projetée et, d’autre part, la victime avait déposé plainte contre son épouse et le requérant, et ce dernier avait déjà été entendu à ce sujet par les services de police le 28 décembre 1998. Dans ces circonstances, la Cour considère que, dès son interpellation et son placement en garde à vue, les autorités avaient des raisons plausibles de soupçonner que le requérant était impliqué dans la commission de l’infraction qui faisait l’objet de l’enquête ouverte par le juge d’instruction. L’argument selon lequel le requérant n’a été entendu que comme témoin est inopérant, comme étant purement formel, dès lors que les autorités judiciaires et policières disposaient d’éléments de nature à le suspecter d’avoir participé à l’infraction.
48. Par ailleurs, la Cour note que, depuis l’adoption de la loi du 15 juin 2000, lorsqu’il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’il a commis ou tenté de commettre une infraction, tout témoin – cité pour être entendu au cours de l’exécution d’une commission rogatoire – ne peut être retenu que le temps strictement nécessaire à son audition.
49. Enfin, selon la Cour, l’interpellation et le placement en garde à vue du requérant pouvaient avoir des répercussions importantes sur sa situation (voir, parmi d’autres, Deweer, précité, § 46, et Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, § 73, série A no 51). D’ailleurs, c’est précisément à la suite de la garde à vue décidée en raison d’éléments de l’enquête le désignant comme suspect, qu’il a été mis en examen et placé en détention provisoire.
50. Dans ces circonstances, la Cour estime que lorsque le requérant a été placé en garde à vue et a dû prêter serment « de dire toute la vérité, rien que la vérité », celui-ci faisait l’objet d’une « accusation en matière pénale » et bénéficiait du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence garanti par l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.
51. La Cour relève ensuite que, lors de sa première déposition le 8 juin 1999, le requérant a fourni certains éléments de preuve pouvant démontrer son implication dans l’agression de B.M : il a en effet livré des détails sur ses conversations avec l’un des individus mis en examen, J.P.G., sur leur entente « pour faire peur » à B.M. et sur la remise d’une somme d’argent de 100 000 francs français. La Cour note également que ces déclarations ont été ensuite utilisées par les juridictions pénales pour établir les faits et condamner le requérant.
52. La Cour estime que le fait d’avoir dû prêter serment avant de déposer a constitué pour le requérant – qui faisait déjà depuis la veille l’objet d’une mesure coercitive, la garde à vue – une forme de pression, et que le risque de poursuites pénales en cas de témoignage mensonger a assurément rendu la prestation de serment plus contraignante.
53. Elle note par ailleurs qu’en 2004, le législateur est intervenu pour revenir sur l’interprétation faite par la Cour de cassation de la combinaison des articles 105, 153 et 154 du code de procédure pénale et préciser que l’obligation de prêter serment et de déposer n’est pas applicable aux personnes gardées à vue sur commission rogatoire d’un juge d’instruction (paragraphe 29 ci-dessus).
54. La Cour constate également qu’il ne ressort ni du dossier ni des procès-verbaux des dépositions que le requérant ait été informé au début de son interrogatoire du droit de se taire, de ne pas répondre aux questions posées, ou encore de ne répondre qu’aux questions qu’il souhaitait. Elle relève en outre que le requérant n’a pu être assisté d’un avocat que vingt heures après le début de la garde à vue, délai prévu à l’article 63-4 du code de procédure pénale (paragraphe 28 ci-dessus). L’avocat n’a donc été en mesure ni de l’informer sur son droit à garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer avant son premier interrogatoire ni de l’assister lors de cette déposition et lors de celles qui suivirent, comme l’exige l’article 6 de la Convention.
55. Il s’ensuit que l’exception soulevée par le Gouvernement doit être rejetée et qu’il y a eu, en l’espèce, atteinte au droit du requérant de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence, tel que garanti par l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention. »]i
En l’espèce, il est incontestable que le prévenu ne s’est pas vu notifier le droit de se taire et n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat conformément aux exigences de la Cour européenne des droits de l’Homme.
2/ Sur l’application dans le temps de la jurisprudence de la CEDH
2-1 La position de la Cour de cassation
La Cour de cassation dans trois arrêts du 19 octobre 2010 a considéré que :
« Attendu que, pour rejeter la requête aux fins d'annulation d'actes de la procédure de M. X..., l'arrêt se borne à relever l'absence, dans la Convention européenne des droits de l'homme, de mention expresse portant obligation d'une assistance concrète et effective par un avocat de la personne gardée à vue dès la première heure de cette mesure et de notification d'un droit de se taire, et le défaut de condamnation expresse de la France par la Cour européenne des droits de l'homme pour ce motif ; que les juges ajoutent qu'en l'état de la jurisprudence de cette Cour, la disposition du droit français prévoyant une intervention différée de l'avocat lorsque le gardé à vue est mis en cause pour des infractions d'une certaine gravité, tels les crimes et délits de trafic de stupéfiants, n'est pas contraire à l'article 6 § 3 de la Convention susvisée ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le texte conventionnel susvisé, d'où il résulte que, sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'espèce, et non à la seule nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l'assistance d'un avocat ; »
Que toutefois, la Cour de cassation a cru pouvoir fixer la date d’application de la jurisprudence de la CEDH au 1 er juillet 2011 par référence à la décision du Conseil constitutionnel dont la nature du contrôle était différent du sien.]i
2-2 La jurisprudence de la CEDH s’applique immédiatement
Il ne relève de l’office de la Cour de cassation que d’interpréter les lois et de faire application des traités.
Dans la hiérarchie des normes, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme a la valeur d’un traité.
Or, il échet de constater que la condamnation prononcée à l’encontre de la France dans l’arrêt BRUSCO du 9 octobre 2010 n’a pas donné lieu à report dans le temps de son application et ce, alors même que la garde à vue était intervenue en 1999.
Dès lors, il n’est pas contestable que la jurisprudence de la CEDH trouve à s’appliquer immédiatement.
Il en a ainsi été jugé par plusieurs juridictions, dont, notamment :
- Le Tribunal correctionnel de LILE le 25 octobre 2010
- Le Tribunal correctionnel de NANCY le 3 novembre 2010
- Le Tribunal correctionnel de Colmar le 18 novembre 2010 :
Par conséquent, l’annulation de l’audition du prévenu ainsi que de l’ensemble des actes subséquents s’impose.
PAR CES MOTIFS
Vu la décision du Conseil Constitutionnel DC n°2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010;
Vu les arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 19 octobre 2010 (10-82.306 ; 10-82.902 ; 1085.051)
Vu la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme
Vu les articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu les articles 62, 63, 63-1, 63-4, alinéas 1 à 6, et 77 du Code de procédure pénale.
CONSTATER que le Parquet a cumulativement contrôlé la garde à vue et diligenté des poursuites à l’encontre du prévenu,
CONSTATER que M. a été placé en garde à vue sur le fondement de textes inconstitutionnels ;
CONSTATER que M. n’a pas reçu notification du droit de se taire,
CONSTATER que M. n’a pas bénéficié de l’assistance effective d’un avocat en garde à vue
PRONONCER la nullité de l’ensemble des procès-verbaux établis dans le cadre de la garde à vue de M. ainsi que de la convocation d’avoir à comparaitre devant le Tribunal correctionnel,
SOUS TOUTES RESERVES