GARDE A VUE : LA FOLLE JOURNEE



Dans les combats que mène le Barreau en faveur des libertés, il est des journées qui comptent plus que d’autres. Point d’orgue d'une semaine de contestation qui aura très largement mobilisée la profession, le mercredi 15 décembre 2010 restera dans les annales comme le jour où une estocade quasi fatale aura été portée à la garde a vue « à la française », qui n'en finit décidément pas d'agonir.

« La garde à vue est morte » communiquait dès le 13 décembre la FNUJA. Si le cadavre bouge encore, on le doit à la résistance du gouvernement mais aussi à une interprétation de la jurisprudence européenne par la Cour de cassation jugée discutable par certains. Mais la messe semble dite, même si les débats s’annoncent agités début janvier au Parlement. Retour sur une folle journée ou tout s’est emballé et où en quelques heures la garde à vue sera passée par tous les états.


Une mobilisation sans précédent

La semaine de mobilisation du 13 au 18 décembre était attendue de longue date. Opposition, Ordres, syndicats, institutions représentatives…Chacun avait fourbi ses armes. La concomitance des calendriers législatif et jurisprudentiel laissait augurer qu’elle serait porteuse. On ne croyait pas si bien dire...

Dès le lundi, la FNUJA appelle à amplifier le mouvement qui s’annonce en soulevant systématiquement la nullité des gardes à vue. A Paris, Agen, Bayonne, Lille, Caen, Marseille, Nice, Nîmes, Montpellier, Strasbourg, Toulon, en Guadeloupe… partout la mobilisation croît. L’objectif : sensibiliser le grand public à la question de la garde à vue et à la nécessité qu'intervienne une réforme garantissant de manière effective les droits des personnes mise en cause, et faire connaitre aux parlementaires la position de la profession sur le projet de loi qui doit être examiné par l’Assemblée nationale le 15 décembre.

Le répit des commémorations du bicentenaire du rétablissement du Barreau le mardi 14 - célébré notamment à Grenoble avec éclat à l’initiative du Bâtonnier Jean-Luc Medina, ancien président de la FNUJA - aura été de courte durée. Dès le lendemain, un peu partout, une grève des audiences est décrétée. Souvent totale le 15 décembre, elle touchera divers secteurs toute la semaine.


La Cour de cassation, enfin…

Et ce mercredi 15, les choses vont très vite s’accélérer : en début d'après midi, la Cour de cassation rend un arrêt très attendu aux termes duquel la chambre criminelle juge pour la première fois que le procureur qui contrôle la garde à vue n’est pas indépendant : « C'est à tort que la chambre de l'instruction a retenu que le ministère public est une autorité judiciaire au sens de l'article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, alors qu'il ne présente pas les garanties d'indépendance et d’impartialité requises par ce texte et qu'il est partie poursuivante ». En dépit de commentaires divergents, l’attendu de principe est sans ambiguïté.


Au même moment, la Cour d'appel de Versailles juge que le parquet, qui avait placé le chef du protocole d’un chef d’Etat étranger sous écrou extraditionnel, n'avait pas autorité pour prendre une telle mesure, faisant là aussi application de la jurisprudence France Moulin de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.


La mort de l’audition libre

Mais ce n’est pas fini : plus tard dans l'après-midi, la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui passe au peigne fin le texte du gouvernement, retoque la très controversée procédure d’audition libre et adopte un amendement en forme de coup de grâce qui retire au parquet le contrôle de la garde à vue pour le confier au juge des Libertés, un magistrat du siège… Dans la foulée, un amendement vient instaurer un délai de deux heures avant la première audition d'un suspect pour permettre l'arrivée de son avocat ; un autre soutenu par Philippe Houillon propose de permettre à l'avocat d'avoir accès sans limitation aux pièces figurant au dossier de la procédure de la garde à vue. Un amendement prévoit que la victime confrontée à une personne gardée à vue assistée d'un avocat peut, elle aussi, demander à être assistée par un avocat de son choix, dans le droit fil d’une préconisation de la FNUJA arrêtée lors du comité de Bayonne en octobre. Enfin, face au tollé qu'il déclenche en commission, un député doit retirer un amendement permettant à l'OPJ d'obtenir le remplacement d'un avocat "perturbant gravement le déroulement de l'audition".(1)


Les procureurs s’en mêlent

Dans la soirée, une première : la Conférence des procureurs, réunie pour élire son représentant au sein du Conseil supérieur de la magistrature, se fend d’un communiqué réclamant une "réforme urgente et devenue incontournable du statut du ministère public". Elle demande en particulier de nouvelles "conditions de nomination des procureurs" soumise à "un avis conforme du CSM".



Une chose est certaine : la garde à vue doit être réformée avant le 1er juillet 2011. Une chose est certaine : la réforme doit intervenir avant le 1er juillet 2011. Mais d’ores et déjà, les Jeunes Avocats ont obtenu la nullité de gardes à vue devant différents tribunaux (Bordeaux, Lille, Nancy , Colmar, Charleville-Mézières…) pour violation des principes posés par la Cour de Strasbourg. Le texte du gouvernement, qui sait sa marge de manœuvre étroite, reviendra devant l’Assemblée nationale début 2011. Le nouveau garde des Sceaux Michel Mercier l’avait annoncé à la Rentrée du Barreau de Paris : « Je ne considère pas que le projet est aujourd’hui fini. Il y a eu après son dépôt des décisions, notamment de la Cour de cassation. J’en attends d’autres, qui devront être pris en compte avant que ne débute le débat au Parlement ». Il faudra compter avec l’arrêt de la Haute juridiction du 15 décembre... Et les débats à la commission des lois lui auront donné la température de ceux qui l’attendent. Quant à la position des acteurs de la garde à vue, au premier rang desquels les avocats, elle n’aura jamais été aussi déterminée.Rendez-vous le 18 janvier prochain au Palais Bourbon.


Eric BONNET


(1) D’après brèves AFP sur le site de l’Assemblée nationale


Vendredi 17 Décembre 2010
Eric BONNET

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