Congrès 2010 : Discours de fin de Présidence de Camille MAURY

Lundi 17 Mai 2010

Madame le Ministre, j’ai eu envie de vous raconter une anecdote :

Il y a quelques années, l’un de vos prédécesseurs avait reçu l’un de mes prédécesseurs à la chancellerie.
Il avait, dans un premier temps patiemment écouté les revendications, nombreuses, de notre syndicat. Mais au bout d’un moment, légèrement excédé, il avait fini par dire : « De toutes façons, vous les jeunes avocats, vous êtes toujours contre tout ! »

C’était mal nous connaître. Mais cette vision erronée de ce que nous sommes, explique peut-être que depuis plusieurs années, les ministres de la Justice ne se sont plus déplacés en personne à nos congrès.

Votre présence, aujourd’hui, n’en a que plus de prix.
Nous y sommes très sensibles et vous en remercions.

Elle est le signe de l’intérêt que vous portez à notre Profession en général, et aux jeunes avocats en particulier.

Elle est le témoignage de cette volonté d’échanges constructifs dont vous nous avez déjà assuré, et à laquelle nous voulons croire, tant il est certain que nous ne pourrons pas construire un droit durable sans vous. Et vous, sans nous.

Ce désir de bâtir un droit durable, vous l’avez manifesté à travers le projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées, et votre souhait de restaurer la confiance et le rapprochement entre les grandes professions du droit, que nous nous devons de saluer.

Vous l’avez manifesté également, dans un tout autre domaine, à travers votre volonté de réformer notre procédure pénale.

Le Président de la République vient d’indiquer que cette réforme n’était plus une priorité de son mandat.
Nous ne pouvons que le regretter.

Même si le projet devait être largement amendé pour parvenir aux objectifs annoncés, il affichait au moins l’ambition de passer du système de l’aveu à celui de la preuve, de la recherche d’un coupable à celle de la vérité.

Néanmoins, vous avez indiqué qu’un texte sur les points prioritaires pour la phase de l’enquête serait déposé au parlement d’ici l’été. Nous espérons évidemment - nous attendons - qu’il traite de la réforme de la garde à vue.

Une vraie réforme, qui garantisse à toute personne mise en cause le libre exercice de ses droits dans le respect d’une procédure contradictoire, ce qui suppose non pas la seule présence de l’avocat en garde à vue, mais également la possibilité pour lui d’assister de manière active aux interrogatoires de son client, d’avoir accès à toutes les pièces du dossier et de pouvoir solliciter toutes les investigations nécessaires

Notre métier n’est pas de valider des procédures par notre simple présence, mais d’exercer pleinement les droits de la défense.


La France se mettra ainsi, enfin, en conformité avec les principes de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme et la jurisprudence de sa Cour.

Je sais que vous ne partagez pas complètement cette analyse, mais un processus est en marche, il va dans le sens de l’Histoire, et il répond également au souhait de l’opinion publique.

Enfin, les décisions attendues du Conseil Constitutionnel risquent, à brève échéance de rendre cette réforme inéluctable.


Cela me conduit à saluer, une nouvelle fois, l’institution de la Question Prioritaire de Constitutionnalité qui est une avancée considérable pour notre Etat de droit.

Dés l’entrée en vigueur de la loi, les jeunes avocats ont été les premiers à s’emparer de ce nouvel outil de défense des libertés individuelles, avec succès puisque la plupart des QPC qu’ils ont soulevé sont à présent soumises à l’examen de la Cour de Cassation.

Permettez-moi de vous dire, Madame le Ministre, qu’ils ne l’ont pas fait pour de l’argent.
Ainsi, à Nancy, ils n’ont même pas réclamé leur attestation de fin de mission pour toucher la modique rétribution que consent l’Etat en matière de commission d’office.

Ils l’ont fait dans le seul but de faire avancer le Droit, pour la seule raison qu’ils croient en la Justice, avec la passion de ceux qui combattent pour une grande cause, et parce que la Défense est bien plus qu’un métier pour eux : une vocation.


Les jeunes avocats ne veulent pas qu’un droit durable ;
Ils veulent aussi une Justice durable.

La Justice, ce n’est pas qu’une vertu. C’est avant tout un instrument de régulation des conflits humains, sociaux, économiques, qui participe du contrat social, qui est consubstantiel d’une société civilisée

On ne peut pas infliger à ce ministère régalien les mêmes restrictions que la Révision Générale des Politiques Publiques entend imposer à l’ensemble du secteur public

La justice doit-elle totalement échapper à la rigueur budgétaire ? Non, bien sûr.
Mais cette rigueur ne doit pas avoir pour conséquence de limiter le recours au Juge.

Les projets de déjudiciarisation de pans entiers de contentieux nous heurtent profondément.


Comment peut-on mettre en balance la logique comptable des économies en équivalent temps plein de juges ou de greffiers, avec le droit fondamental pour toute personne à ce que sa cause soit entendue dans le cadre d’un procès équitable ?

L’idée de réduire la part du budget en matière judiciaire est d’autant moins envisageable que la France n’assume déjà même pas ses obligations notamment en matière d’accès au droit

Nous attendons la grande réforme de l’Aide Juridictionnelle, prêts à participer sans tabou à toutes les discussions, mais avec le sentiment d’une absolue urgence.

Les jeunes avocats, qui sont les plus nombreux parmi ceux qui assument la charge du service public de l’AJ, sont porteurs de propositions constructives qu’ils auront à coeur de réitérer à l’occasion de ce congrès.


Nous savons dans quelles conditions, notre Profession a du consentir, à la demande du gouvernement, à l’idée d’une tarification des honoraires de l’avocat pour une procédure spécifique.

Or, la FNUJA a toujours été opposée au tarif, même à titre subsidiaire. Il est contraire au principe de la liberté des services, et constitue une atteinte inconcevable à l’indépendance de notre profession

D’autant que chacun sait bien que, dans les faits, ce subsidiaire deviendra un principal auquel il ne sera plus possible de déroger, et qu’il n’y aura pas de raison, une fois ce tarif adopté, de ne pas l’étendre à d’autres procédures voire à des actes juridictionnels.

Nous ne voulons pas devenir des avocats conventionnés.

J’ajoute qu’il est paradoxal de reprocher à une Profession un manque de lisibilité de ses prix, alors qu’elle s’est vue interdire la publication par ses Ordres de barèmes indicatifs, et que par ailleurs sa publicité est extrêmement réglementée.

Cette question doit être réexaminée.


L’actualité nous prouve que certains projets, qui paraissaient aussi urgents qu’incontournables, se sont finalement révélés moins opportuns.
S’il ne s’agit en réalité que d’améliorer la lisibilité et la prévisibilité des honoraires de l’avocat, ce qui est parfaitement légitime, la bonne solution consiste à rendre obligatoire la convention d’honoraires.

Consciente de sa nécessité, notre fédération a déjà posé cette exigence, qui était d’ailleurs aussi l’une des propositions du rapport GUINCHARD.

Un droit durable ne saurait évidemment se concevoir s’il n’est pas exercé par des professionnels du droit.

Eux seuls ont la formation, la qualification et la déontologie indispensables.

Les jeunes avocats se rangeront derrière le Conseil National des Barreaux, comme - je n’en doute pas - l’ensemble de la Profession d’avocat, pour défendre cette règle évidente et essentielle contre les attaques injustifiées dont elle fait l’objet.

A chacun ses compétences et la place qui en découle sur le marché du droit.

Par contre, il est certain que les compétences des uns et des autres, lorsqu’elles sont complémentaires, peuvent être mises en commun dans le cadre d’une offre de service.

Désireux de travailler en bonne intelligence avec les professions dites techniques dans l’intérêt de nos clients, nous sommes ouverts à l’idée d’une interprofessionalité, dont le cadre reste à définir.


Comme vous, Madame le Ministre, notre syndicat estime que l’avocat doit être partout où il y a du droit.

C’est ainsi que lors de son précédent congrès, la FNUJA a souhaité que la création d’un statut de l’avocat en entreprise soit envisagée, dans des conditions garantissant le respect de nos principes déontologiques

Toute cette année écoulée, nous nous sommes donc efforcés de définir ce que pourrait être un tel statut, et ce congrès verra certainement l’aboutissement de nos réflexions.

J’ajoute, parce qu’il ne faut pas être hypocrite, qu’au-delà de la conformité de ce mode d’exercice avec notre déontologie, nous nous interrogeons également sur son impact économique pour la profession.

Je voudrais saluer ici le travail réalisé par nos deux responsables de commission mais aussi par toutes les uja, qui se sont engagées dans cette réflexion en acceptant de mettre de coté toute idée préconçue, simplement animées par la conviction qu’une profession qui n’avance pas ne peut que reculer, et qu’il ne faut pas craindre l’avenir, mais le faire.

Le temps assez considérable que nous avons passé sur les thèmes que je viens d’évoquer, ne nous a pas empêché de nous investir également sur les autres sujets qui occupent la Profession, tels que sa gouvernance, la publicité personnelle de l’avocat que nous souhaitons plus libre mais non équivoque, la réforme de la formation initiale ou encore celle des spécialisations.

Nous nous sommes également attachés à améliorer le statut du collaborateur libéral, et cette année a vu se concrétiser plusieurs de nos revendications :


L’arbitrage obligatoire devant le bâtonnier pour les règlements des litiges nés des contrats de collaboration, l’allongement du délai de prévenance, et bientôt, nous l’espérons, l’introduction dans le RIN le droit au congé paternité du collaborateur.


Mais il n’y a évidemment pas qu’en matière de collaboration libérale que les revendications de la FNUJA ont porté leurs fruits.

Ainsi, il y a tout juste un an, la loi « de simplification et de clarification du droit et d’allégement des procédures » instituait la présence statutaire au Bureau du Conseil National des Barreaux, du Président de la Conférence des Bâtonniers et du Bâtonnier de Paris

Il s’agissait, là encore, d’une proposition originale de la FNUJA, qui participe de la volonté des jeunes avocats de renforcer l’unité de la Profession au travers de son institution représentative.

Au regard de ces seuls exemples, qui oserait dire que la présence des syndicats au sein du Conseil National n’est pas justifiée ? C’est aussi ridicule que de prétendre que les Ordres n’y auraient pas leur place.

C’est bien sa diversité qui fait la richesse du Conseil National, qui doit rester le Parlement de notre Profession.

Bien consciente cependant qu’il doit être plus proche des confrères, la FNUJA a également proposé l’élection de son Président au suffrage universel, ainsi que la modification du scrutin du collège ordinal, afin que l’ensemble de ses membres soit élu par l’ensemble des avocats.




La FNUJA s’investit aussi hors de nos frontières. Présente notamment au congrès de la CIB, elle en a profité pour mener des actions communes et renforcer ses liens avec la Fédération Africaine des Unions de Jeunes Avocats, que nous sommes profondément heureux d’accueillir à ce congrès

Bien plus encore qu’en France, les jeunes avocats des pays d’Afrique ont besoin d’être soutenus.

Pour cela, et parce-qu’ils viennent de loin pour nous témoigner leur amitié, je vous remercie d’applaudir les délégations aujourd’hui présentes des jeunes avocats du Cameroun, du Bénin, de la Guinée, de la République démocratique du Congo, du Togo, du Sénégal et de la côte d’Ivoire.

Enfin, notre fédération, à l'occasion d'une réunion des associations de jeunes avocats en EUROPE sur le thème de la création d’une culture judiciaire européenne, a appelé, à l’ouverture du débat sur la nécessaire définition d’un statut de l’avocat européen.

Nous nous réjouissons de la présence à ce congrès des représentants de l’AIJA et de l’EYBA, pour bâtir ensemble ce projet ambitieux


Ainsi sont les jeunes avocats : pas contre tout, non, juste contre ce qui leur paraît injuste.

Hormis les questions qui touchent aux libertés fondamentales ou à leur déontologie, avec lesquelles ils ne transigent pas, vous ne les entendrez jamais dire « non ».
A tout le moins, ils diront : « non, mais », proposant alors des solutions alternatives, prospectives, toujours constructives



Et s’il serait inexact de prétendre qu’ils envisagent l’avenir avec sérénité, ils le font néanmoins toujours avec optimisme.

Syndicat responsable, qui s’inscrit dans la durée, notre Fédération tire sa force tout à la fois de son apolitisme qui lui confère une grande liberté de pensée et d’action, des victoires et des combats que ses anciens lui ont laissé en héritage, de son éternelle jeunesse qui lui permet de s’adapter aux mutations de notre société.

Ne représentant pas qu’une catégorie d’avocat, elle n’oppose pas le juridique au judiciaire, convaincue au contraire que ce n’est que sur ses deux jambes que la Profession peut avancer.

C’est pourquoi la FNUJA est, et restera, le premier syndicat représentatif de notre Profession

Mais ma plus grande réussite cette année, je ne me la dois pas :
Car c’est celle d’avoir été entourée de gens extraordinaires, qui ont mis leur temps, et leurs talents, au service de notre syndicat.

Nos présidents et membres d’honneurs, que j’ai si souvent sollicité, et qui m’ont toujours apporté aide et conseils précieux.

Nos 10 élus au CNB, qui y fournissent un travail considérable, en quantité comme en qualité.

Il y a surtout, nos représentants des uja, forces vives et raison d’être de notre fédération.

Naturellement, le fonctionnement de la fnuja doit beaucoup à nos partenaires, LPA l’ANAAFA, la Gazette du Palais, HSBC et AVIVA, que je remercie d’autant plus qu’ils ont su répondre à notre exigence d’offrir des services dédiés aux jeunes avocats.

Je me dois aussi de remercier mon uja, l’uja de Nîmes, qui m’a soutenue depuis le début de cette belle aventure, ainsi que mon associé, Olivier GOUJON, qui a vaillamment tenu le cabinet en mon absence, malgré son propre mandat au Conseil national des Barreaux.

Un grand merci également à l’uja de Bordeaux et à sa présidente, Fabienne, pour l’organisation de ce congrès qui sera, j’en suis sure, un grand succès.



Enfin, je n’aurais rien pu faire sans mon bureau.

Toute cette année ils m’ont aidée, entourée, choyée.

Emmanuelle, Julie. Cette année m’a permis de mieux vous connaître et vous apprécier. Vous avez hérité de la tache souvent fastidieuse mais oh combien importante de la rédaction des PV des comités, et contribué à enrichir, ainsi, la mémoire de notre Fédération.

Roland, mon compatriote, notre Trésorier.
Je dois bien te l’avouer : l’hôtel Central de Beaune où tu nous as contraints à dormir ne restera pas dans les annales touristiques de la FNUJA. Mais, par contre, comme le souvenir de la conscience avec laquelle tu as veillé sur nos finances.
Entre deux déclarations de TVA, tu as aussi trouvé le temps de nous écrire des rapports sur des sujets qui nous tenaient à cœur. Je sais que tu comptes poursuivre ton investissement au sein du bureau. La FNUJA ne peux que s’en réjouir.


Anne-Lise. Indispensable, géniale, Anne-Lise.
Repenser à la masse du travail que tu as abattu cette année me donne le tournis. Nos coups de fils quotidiens pour la gestion du site, du journal, l’organisation des comités où les relations avec nos uja, vont me manquer à un point que tu ne peux imaginer.

Soliman, tu as apporté à notre bureau ta gentillesse, ta fantaisie, ton humanisme. Profondément attaché à la défense des droits de l’homme, tu n’as pas hésité à te rendre disponible pour être notre ambassadeur, que ce soit en Afrique, ou encore au mémorial de Caen. Merci

Stéphane, bien plus qu’un vice-président, tu as été cette année tout à la fois ma bonne conscience, mon lieutenant, mon garde du corps même, à tes heures, et par-dessus tout mon ami.
Il faut dire que ton intelligence, ta droiture et ton amour pour notre fédération font de toi un sacré empêcheur de tourner en rond, mais un conseiller sacrément efficace.
Ce sont ces mêmes qualités qui te permettront un jour, je l'espère vivement, de tenir brillamment les rênes de notre Fédération.

Romain, si je commence à dresser le catalogue de tout ce que tu m’as apporté, de toutes les qualités que j’admire chez toi, ça risque de durer plutôt longtemps.
Alors pour faire court, j’évoquerai juste un souvenir :
Au début de mon mandat, nous avions eu une longue discussion, toi et moi, sur le sens que nous donnions à notre engagement, notre vision du syndicalisme, notre ambition pour notre Profession et l’avenir que nous voulions pour les jeunes avocats.
Ce jour-là, j’ai immédiatement compris que j’avais en face de moi un futur, grand président, de la fnuja.



Un mot, pour terminer à celle qui est la plus chère à mon cœur : ma belle Fnuja

Partager ce bref instant de ta vie aura été une des plus grandes chances de la mienne.

J’ai le cœur gros de te quitter, même si je sais qu’il faut savoir partir une fois son mandat terminé, et que je te laisse entre de bonnes mains.

Je te souhaite une longue et belle vie, et de rester toujours telle que je t’ai connue : Ambitieuse, généreuse, magnifique.



Anne-Lise LEBRETON