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FNUJA | Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats
Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats

"On demande à la profession de travailler à perte"

Lundi 28 Juillet 2014

Gazette du Palais - Entretien avec Anne-Lise LEBRETON
Propos recueillis par Chloé ENKAOUA
Gazette du Palais - Edition Professionnelle - Vendredi 11, samedi 12 juillet 2014 - N°192 à 193



Gazette du Palais : Christiane Taubira s'est longuement exprimée sur l'aide juridictionnelle devant les bâtonnier le 27 juin dernier. Son appel à une solidarité accrue des avocats sans moyens nouveaux alloués par la Chancellerie a entrainé une nouvelle vague de mobilisation du Barreau le 7 juillet. Quelle est la position des jeunes avocats sur la question ?

Anne-Lise LEBRETON : Il ne ressort du discours du Ministre aucune bonne nouvelle ni surprise. Le point positif, c’est que la ministre a acté la nécessité du doublement du budget de l’aide juridictionnelle. En revanche, elle a également indiqué qu’elle avait été incapable d’obtenir un arbitrage favorable en ce sens. C’est symptomatique de la place que l’on donne à la justice en France actuellement. Concernant les modes de financement, cette taxe sur le chiffre d’affaires des cabinets d’avocats est évidemment inacceptable. Or, la Garde des Sceaux a semblé indiqué que cette taxe était la condition sine qua non à l’étude d’autres pistes de financement. On demande à la profession de continuer à travailler à perte et de payer pour être payé. C’est un peu la double peine ! Cela fait des années que la profession est patiente, mais à force de promesses non tenues, cela finit par devenir insultant. Il y a d’ailleurs un vrai ras-le-bol qui s’exprime actuellement au travers des journées de mobilisation, une réelle volonté de se faire entendre, et il m’est avis que ce n’est pas prêt de s’arrêter…


Gaz. Pal. : C'est votre premier challenge de présidente des jeunes avocats ?

AL L : L’Aide Juridictionnelle mobilise depuis des semaines la profession. Il ressort de la rencontre, à Matignon, de la délégation des représentants de la profession, dont faisait partie la FNUJA, avec la conseillère Justice du Premier Ministre et des membres du cabinet de la Chancellerie, que les justes revendications des avocats ne sont ni écoutées ni entendues. Le doublement du budget de l’AJ n’est, à ce jour, pas envisagé par les pouvoirs publics dont l’objectif immédiat se limite à trouver les fonds nécessaires pour couvrir le financement des nouvelles missions assumées par les avocats. En revanche, la taxe inacceptable des cabinets d’avocats, elle, demeure envisagée. Nous ne renoncerons pas à nos justes revendications et demanderons à être auditionnés par le député Jean-Yves LE BOUILLONNEC en charge de la nouvelle mission parlementaire sur l’AJ qui doit rendre ses préconisations pour la fin de l’été.

Au-delà de ces sujets d’actualité, nous poursuivrons notamment les travaux menés sur l’égalité professionnelle. Après avoir obtenu l’adoption du congé paternité des collaborateurs et la protection des collaboratrices au retour de leur congé maternité, nous avons adopté une motion en faveur des jeunes installés et associes. Nous voulons obtenir une amélioration de la prise en charge financière des périodes de congé paternité et maternité de ces derniers, avec assouplissement du critère d’arrêt total d’activité, ainsi que la mise en œuvre d’un régime d’indemnisation complémentaire permettant, le cas échéant, une reprise d’activité progressive.


Gaz. Pal. : Dans votre discours d’investiture, vous avez insisté sur la nécessité pour les jeunes avocats « d’inventer l’exercice de demain ».Pouvez-vous en dire plus ?

AL L : En effet, il me tient particulièrement en cœur que nous réussissions à faire que les justiciables et les entreprises aient le « réflexe avocat », et pas seulement en cas de contentieux. La profession, parce qu’elle subit des attaques de toutes parts, est en mode défensif. Il faut passer en mode pro-actif. Nous ne devons pas nous replier sur nos activités traditionnelles, mais au contraire investir les champs d’activité qui nous sont ouverts : avocat mandataire immobilier, avocat mandataire sportif, correspondant informatique et libertés… et en conquérir de nouveaux.
Développer le réflexe avocat, c’est stimuler l’esprit d’entreprise des Avocats. Les avocats sont souvent trop timides. Nous sommes des professionnels libéraux et donc par essence également des entrepreneurs, il nous faut agir en tant que tel.
La profession doit également prendre toute sa place sur le terrain des modes amiables de règlement des litiges (MARL). Nous devons investir ces pratiques qui répondent à une demande croissante des justiciables de prendre part au règlement de leur différend et y former les élèves avocats. Nous travaillons en ce sens avec l’Association des Médiateurs Européens (AME) avec laquelle nous venons de signer un partenariat.


Gaz. Pal. : Vous avez également dénoncé dans votre discours les sites de tiers qui fleurissent actuellement sur le web, à l’instar de Demanderjustice.com ou Legalstart.fr. Que leur reprochez-vous ?

AL L : Le problème n’est pas le développement des prestations juridiques sur internet, au contraire, mais la manière dont des sociétés commerciales le font et utilisent les avocats pour créer un business sans tenir compte des règles déontologiques de notre profession, et ce au détriment des justiciables. La profession doit prendre la main sur le marché du droit sur internet, afin d’être sur que nos règles essentielles seront respectées et les prestations fournies, de qualité. Le CNB pourrait par exemple créer un tel outil, géré par la profession au profit de la profession.


Gaz. Pal. : Comment se positionne la FNUJA vis-à-vis de l’avocat en entreprise ?

AL L : Notre doctrine sur le sujet est fixée depuis notre Congrès de Bordeaux en 2010. Selon les termes de cette motion l’exercice de l’avocat en entreprise ne peut se concevoir qu’à condition qu’il soit conforme aux principes essentiels ainsi qu’aux règles déontologiques de la profession, le tout sous réserve du respect des conditions cumulatives et impératives, dont la suppression immédiate de la passerelle avec les juristes d’entreprise. Il s’agit en effet pour la profession d’entrer dans l’entreprise, et non de permettre une fusion, même a minima avec les juristes d’entreprise.


Gaz. Pal. : Et concernant la réforme de la gouvernance, notamment le projet d’Ordre national prôné par Jean Castelain ?

AL L : Nous sommes évidemment contre le « projet Castelain », conséquence d’une guerre d’égos, qui n’a rien de moderne, bien au contraire. Ce projet tend à confier la gouvernance et donc l’avenir de la profession aux mains des seuls bâtonniers, qui sont en grande majorité des hommes de 20 à 30 ans de barre, ce qui exclut de fait les jeunes et les femmes. Nous sommes attachés à une instance représentative qui permette à chacun et chacune, quels que soient son mode d’exercice et son champ d’activités, d’exprimer sa voix. Le CNB, quoique perfectible, le permet, il est le parlement des avocats. Nous continuerons à le défendre.


Gaz. Pal. : Quels vont être les prochains temps forts pour la FNUJA ?

AL L : L’année sera en premier lieu rythmée par la campagne pour le CNB dont les élections se tiendront le 25 novembre prochain.
Nous serons également présents à Montpellier, du 28 au 31 octobre prochain, pour la Convention Nationale des Avocats.


Gaz. Pal. : De par ses combats pour les droits des jeunes avocats, la FNUJA souffre-t-elle de la concurrence avec le MAC d’Avi Bitton ?

AL L : Il n’existe aucune concurrence entre la FNUJA et le MAC. Les seuls syndicats actifs sur le terrain, qui assistent bénévolement et au quotidien les jeunes avocats en difficulté, ce sont les UJA. Nos combats ne sont pas dirigés contre personne mais pour les jeunes avocats et la profession.


Gaz. Pal. : Pour finir, qu’aimeriez vous dire aux pouvoirs publics que vous accusez de défiance envers la profession d’avocat ?

AL L : Il faut qu'ils sachent que le mépris à l’égard de notre profession est aussi injuste qu’inacceptable. Nous trouvons particulièrement choquant et déplacé la suspicion que l’on ressent dans les discours des uns et des autres et qui conduit à ce que notre profession soit écartée de projets tel que l’action de groupe. Les avocats sont là pour assister les justiciables, y compris les plus démunis, et ils le font avec conscience et compétence. Notre profession mérite le respect des pouvoirs publics, et ce même si nous sommes moins dociles que d’autres professionnels du droit.





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